A la poursuite de Bardamu ou comment choisir le nom d’un personnage 🎧🖋️

Bien que j’aie à cœur de trouver un ton très personnel pour développer ma voix d’auteur, je n’en suis pas moins confrontée aux mêmes questions que tous les écrivains. Parmi celles-ci, il en est une qui m’est chère : quels noms donner à mes personnages ?

Elle m’est chère, car nommer n’est pas anodin et me permet de jouer infiniment avec les mots, les doubles sens, les anagrammes, les seconds, voire troisièmes degrés

Pour compléter cet article, je vous recommande la lecture de celui-ci : 9 clés pour donner profondeur et épaisseur à vos personnages de fiction.

Comment choisir le nom « qui va bien » ?

Le nom de certains personnages de Toute la Lumière (mon roman en cours dont les premiers chapitres sont publiés sur ce blog)  s’est imposé de lui-même, dès le début, en même temps que leur fiche signalétique. La fiche signalétique de mes personnages, c’est l’ensemble de leurs caractéristiques physiques et morales, leurs valeurs, leurs forces et leurs faiblesses.

Pour Mia, ce fut facile. Elle s’appelait déjà Mia et elle avait 15 ans, bien avant que je sache si elle était grande ou petite, sage ou rebelle. Ce personnage est apparu muni, en tout premier lieu, de son prénom.

D’autres, plus difficiles à cerner, ne se laissent découvrir que petit à petit… Ils ont plutôt « quelque chose à faire » dans l’histoire, et je suis capable de leur bâtir une identité sans avoir la moindre idée concernant le détail de leur état-civil, jusqu’au moment où leur nom s’impose, parfois après des heures de recherche.

Quand je dis « quelque chose à faire », je veux dire que dans mon imagination, ces personnages sont apparus par leur fonction dans l’histoire, avant toute autre caractéristique.

Benny Orselo est de ceux-là. Son patronyme m’a donné du fil à retordre. Je cherchais quelque chose de simple, mais pas trop, de passe-partout mais qui renseigne un peu.

Et puis j’ai trouvé, c’est-à-dire que j’ai ouvert les yeux sur ce qui était sous mon nez depuis le début.

Son prénom est un diminutif, son nom de famille est anagrammatique (à vous de trouver, c’est facile).

Dès que la solution m’est apparue, tout est devenu très clair dans mon esprit et j’ai pu commencer à écrire à son sujet.

Ce que nous dit David Lodge.

D’après David Lodge, je cite  » Comme Shakespeare l’a observé, (…) : « une rose sous un tout autre nom sentirait aussi bon« . De ce point de vue, les noms propres jouissent d’un statut à la fois bizarre et intéressant. Notre prénom nous est en général attribué avec une intention sémantique parce qu’il évoque pour nos parents une connotation agréable ou une promesse que nous tiendrons ou pas par la suite. Inversement, le nom de famille est habituellement perçu comme arbitraire, quelle que soit la force descriptive qu’il ait pu avoir jadis. On ne s’attend pas à ce que M. Berger, notre voisin, garde des moutons et on ne l’associe même pas mentalement à cette activité. En revanche, s’il s’agit d’un personnage de roman, les associations pastorales et peut-être bibliques ne manqueront pas d’entrer en jeu. (…) Dans un roman les noms ne sont jamais neutres. Ils signifient toujours quelque chose, ne serait-ce que leur banalité. (…) Nommer un personnage est toujours une étape importante de sa création (…). »

Des coïncidences difficiles à avaler.

Ce qui nous engage à nous méfier de la facilité, encore une fois. Nous avons tous en tête ces coïncidences extraordinaires, Madame Beaupied vend des chaussures, Monsieur Têtevide est un peu simplet…

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Ma chère maman me disais que dans le quartier de son enfance (Belleville) il y avait un pâtissier du nom de Mouillefarine et un croque-mort appelé Mordefroi. C’est possible. Elle concluait toujours par : « ça ne s’invente pas. »

Elle avait raison. Ça peut s’inventer, bien sûr, mais dans un roman, ça ne passera pas. La réalité dépasse toujours largement la fiction, mais la fiction, terre de liberté, doit pourtant savoir se tenir à sa place. Les allusions se feront discrètes, elles seront la plupart du temps codées, même grossièrement.

 

Quelques allusions transparentes.

Bien décryptées, certaines sont pourtant transparentes quoique porteuses de sens, sans pour autant manquer de poésie et/ou de créativité.

L’alter-ego (et antihéros) de Louis-Ferdinand Céline (de son vrai nom Louis Ferdinand Destouches) ne s’appelle-t-il pas Ferdinand Bardamu ? Quel drôle de nom propre ! Décomposons-le. Barda. Mu. Ah oui ! C’est l’histoire d’un soldat, alors ? Oui, en effet !

Dans le même ordre d’idée, Panselin est le héros de Virgil Georghiu dans La Tunique de peau. Que l’on pourrait comprendre comme pansement de lin ou quelque chose d’approchant. Ce qui lui va… comme un gant. 

Quand Franz Kafka (dont le patronyme signifie « choucas ») nomme le personnage principal du Procès, il décide de ne le désigner que par son prénom et une initiale, Joseph K, lui retirant ainsi un peu d’humanité, ce qui colle à merveille avec l’ambiance oppressante du roman.

Camus, lui, n’attribue pas de prénom à Meursault, personnage principal de l’Étranger. Il lui confère un rôle social, c’est ce qui importe, l’intériorité du personnage nous restera un mystère.

Les héros romantiques, à contrario, sont désignés par leurs prénoms… Paul et Virginie, Roméo et Juliette

Mais au fait, à quoi ça sert, un nom ?

Et bien, avant toute chose, si vous avez bien lu ce qui précède, vous savez que le nom d’un personnage me sert à pouvoir écrire à son sujet.

En fonction de celui-ci, en effet, il ou elle n’aura pas la même origine sociale ou géographique, la même hérédité, les mêmes comportements ou réactions.

Par-delà les questions de lignée, le nom suggère aussi le caractère.

Tout en sachant que si le prénom que attribué est courant, il y aura de fortes chances pour que le lecteur fréquente déjà quelqu’un ou quelqu’une portant le même prénom, ce qui aura pour effet d’influencer son approche.

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Pour Mariéke, du blog Mécanisme d’histoires, « plus encore que révéler des éléments de l’identité de vos personnages, leurs noms et prénoms vont réveiller des préjugés dans la tête de vos lecteurs. Ne négligez pas le poids de ces images pour votre lecteur, mais évitez un maximum les clichés ! »

Le plus important est donc d’être à l’aise avec ce nom, qu’il soit naturel et permette d’écrire en toute tranquillité. Attention aux jeux de mots faciles et aux pirouettes langagières qui pourraient, à la longue, se révéler lourdes à traîner.

Attention aussi au contexte.

Ne pas nommer R2D2 le page d’ Alienor d’Aquitaine. Même pas Herdeux Des Deux, d’ailleurs, ou alors dans un roman d’humour.

D’après Vincent Gaufreteau, auteur de SF et de Fantaisie, il y a, je cite  » cinq façons d’affubler un sobriquet à son personnage :

  • lui créer un nom, totalement imaginé à partir de rien ou presque (…);
  • l’affubler d’un nom tiré de ceux qui existent déjà (…);
  • utiliser un mot commun, ou plusieurs (…);
  • lui composer son patronyme, ce qui n’est pas exactement la même chose que « créer » (…);
  • ne pas le nommer du tout (…). »

Je suis tout à fait d’accord mais pour cette dernière option, elle est valable pour une fiction courte, nouvelle, poème, chanson… mais ne peut, selon moi, dans un roman, concerner que des seconds couteaux, des personnages additionnels, des figurants.

Je ne m’imagine pas, pendant trois cents pages, raconter l’aventure palpitante de « La Fille aux bas nylons« . Je manque peut-être d’imagination. Même Joseph K. s’appelle Joseph K., pas « le type du procès ».

Mis à part les exercices de style des « nouveaux romanciers », par exemple Georges Perec, mais c’est un autre sujet.

 

Les trois principes de Nicolas.

Nicolas Kempf, du site ecriture-livre.fr, définit trois principes pleins de bon sens à garder à l’esprit, que je lui emprunte respectueusement :

1. »Ne pas s’accrocher à un nom ».

Je ne peux qu’être d’accord avec lui. Le processus lent et solitaire de l’écriture peut m’emporter loin de là où j’avais prévu d’arriver (À ce sujet, voir mon article « La seule différence entre Ernest. J Gaines et moi« ). Il se peut qu’un nom qui colle parfaitement à un type de caractère se révèle finalement un peu bof, lorsque celui-ci aura évolué, surtout si je n’avais pas anticipé cette évolution sous la forme qu’elle a finalement prise, ce qui n’est pas rare. Ne pas m’attacher au nom de mes personnages, mais plutôt à la cohérence de mon histoire.

2. »Privilégier la vraisemblance.« 

Là aussi, je suis d’accord. Le lecteur risque de décrocher s’il bute sur l’obstacle d’un nom totalement hors contexte. Voir R2D2 et Alienor d’Aquitaine dans un paragraphe précédent.

Je possède toute liberté de jouer avec les noms, mais s’ils sont par trop décontextualisés, que ce soit fait exprès et que je puisse expliquer pourquoi autrement que par « je trouve ça marrant ».

Il y a peut-être un rebondissement de l’intrigue qui surviendra plus tard à cause de ce nom bizarroïde, mais ne mettons pas le lecteur dans l’embarras en train de se demander « d’où ça sort, ça ? » en pleine scène d’amour ou de meurtre, au risque de le perdre à jamais.

3. »Créer les personnages pour eux-mêmes.« 

Laissons-les acquérir un peu d’épaisseur, un peu de profondeur… Ne pas en faire des vignettes ou de pâles copies de l’auteur.

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Certes.

 

Becaine-a-Clocher-les-Becaes

La postérité ou rien.

Si j’ai de la chance, mon personnage passera peut-être à la postérité. La consécration suprême étant, bien sûr, de passer dans le langage sous la forme d’un nom commun.

Rastignac ou Pipelet ? Dom Juan ou Bécassine ? Il lui faudra, pour réussir ce tour de force, un caractère bien trempé.

À noter que Rastignac nous renseigne assez bien sur l’état d’esprit du personnage, prêt à tout bouffer pour réussir… il a la niaque ! C’est peut-être de là que vient ce mot, niaque, d’ailleurs. Si vous en savez plus à ce sujet, je suis preneuse. Je suis toujours preneuse de votre savoir. J’aime bien échanger.

Pipelet, quant à lui, est un concierge chez Balzac. Un concierge ? Non. LE concierge. L’archétype du concierge. Tout le monde sait que les concierges sont bavards comme des pies… et pipelet nous a donné pipelette… autre nom familier de la concierge parisienne (qui n’existe plus guère à notre époque de digicode, hélas).

Est-il encore besoin de présenter Dom Jouant ? Oui, je sais, ça ne marche qu’en français. Et alors ? 

Quant à Bécassine, venue du nom commun bécasse, elle y retourne sous une autre forme. Bécasse nous donne le nom propre Bécassine qui produit à son tour le nom commun bécassine, désignant toute personne un peu bécasse. La boucle est bouclée.

Un petit jeu pour passer le temps.

Il est facile de s’entraîner à « nommer ». Il est un jeu que je pratique de temps en temps, en particulier dans les transports en commun ou les files d’attente !

J’attribue un nom et un prénom aux inconnus autour de moi, en tenant compte uniquement de leur aspect extérieur. Comment s’appelle cette dame assise sur le siège d’à côté, dont le panier à provisions m’empêche d’user de l’accoudoir ? Ce monsieur qui promène son jeune chien et s’emmêle les pieds dans la laisse ?

Ou bien quel est le nom de ce beau quadragénaire solitaire qui patiente à l’embarquement ? Pardon, Monsieur, excusez-moi, ne vous appelez-vous pas …. ?

Apprécier les lectures.

Que tout cela ne nous détourne pas d’une lecture récréative ! Ne nous arrêtons pas à chaque prénom rencontré pour nous demander à quoi l’auteur pouvait bien penser au moment du baptême, et enclencher des fouilles approfondies. 

Pour faire connaissance avec Benny Orselo, c’est ici. Pour Mia, c’est là.

Ressources et remerciements.

Les ressources en ligne ne manquent pas. Que ce soit pour vérifier la signification d’un prénom ou savoir quel nom de famille était le plus courant en Lorraine en 1914.

Voici quelques sites actifs, il y en a plein d’autres :

Dans cet article, j’ai cité :

Tous mes remerciements à eux trois.


Lire Comment décrire un lieu : 5 clés indispensables➡️

Lire L’élément déclencheur de l’intrigue : 7 clés à connaître ➡️


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C’est un atelier d’écriture créative en ligne où sont publiés et commentés de nouveaux exercices plusieurs fois par semaine.

a tout de suite de l’autre côté
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4 réponses à “A la poursuite de Bardamu ou comment choisir le nom d’un personnage 🎧🖋️”

  1. « le nom et prénom que j’aimerai porter ».
    On dit de moi que je suis rigolote, mais je cultive aussi un côté mystérieux. Je peux être très souriante, mais quand je n’aime pas, je peux sortir une phrase – une seule – un peu cinglante. Je me ressource dans la nature. Je me vois tant dans le futur, qu’en héroïc fantasy.
    Alors, le nom que je me choisi : Rose Séléné.
    J’espère qu’il t’inspirera !

    1. Ce qui fonctionne pour la fiction marche aussi pour la science fiction, bien sûr. Vas-y ! Commence. Assied-toi et écris.

  2. Super article, j’ai toujours rêvé d’écrire de la SF, j’avais un peu commencé mais… ça prend tellement de temps.
    Merci pour ce partage 🙂

    Arthur.

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