Comment ponctuer un dialogue [étude de cas + 7 clés]

Il y a une question de peu d’importance qui pose problème à certain(e)s d’entre nous. Comment bien formater des dialogues ? Quelle ponctuation choisir ?

7 cles + 1 etude de cas

Je dis de peu d’importance car enfin, il y a des sujets beaucoup plus graves, beaucoup plus chauds, lorsqu’on écrit un roman – ou une nouvelle – que de savoir si l’on doit placer des guillemets à chaque fois que le dialogue reprend ou s’arrête ou s’il est possible de s’en passer, n’est-ce pas ?

Comment ponctuer un dialogue : un problème mineur mais un problème tout de même

Traditionnellement, les romans à paraître sont relus par des correcteurs professionnels avant publication, il n’y a donc pas de raison de s’inquiéter. Cependant, l’essor de l’autoédition permet aux écrivains désargentés de “tout faire eux mêmes”, ce qui selon moi est une très mauvaise idée, mais c’est un autre débat.

Lorsque l’on fait tout soi-même, on doit, soi-même, savoir répondre à toutes les questions. Parmi celles-ci, la fameuse question du formatage des dialogues.

Pour ne rien arranger, les correcteurs automatiques des traitements de texte classiques ne nous viennent pas en aide. Ils peuvent même nous induire en erreur. Je vous dis comment un peu plus loin.

Comment ponctuer un dialogue : la règle scolaire et l’usage

Il y a ce qu’on apprend à l’école – lorsqu’on a la chance de pouvoir la fréquenter – et ce qu’on apprend par soi-même. Bien souvent, ces deux savoirs sont complémentaires. Apprendre la règle pour ensuite pouvoir l’adapter à la situation, ce n’est pas si mal.

Cela ne permet pas d’emblée une créativité échevelée, car le formatage de neurones initial laisse une marque profonde dont il est difficile de se débarrasser, mais cela donne, à tout le moins, à chacun la possibilité de s’exprimer sur le meilleur pied d’égalité possible.

C’est déjà beaucoup. L’école a de nombreux défauts et de nombreuses qualités. Je n’en ferai pas la liste ici, c’est encore une fois un autre débat.

Pourquoi cet aparté ? Parce que, bien avant d’être un art, l’écriture de fiction est un artisanat. Ceux et celles d’entre vous qui me lisent régulièrement savent ce que j’en pense.

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Comme on apprend la peinture ou la musique, on peut apprendre l’écriture. Cela ne fait pas automatiquement de nous des prix Nobel de littérature, mais des honnêtes artisans du verbe, ça oui, c’est possible.

Et voici que je retombe sur mes pieds tel un chat lancé dans les airs : en matière d’écriture, il y a les règles dictées par l’Académie et il y a l’usage.

Comment ponctuer un dialogue : ce que font les écrivains, concrètement

Au passage, je me permets de vous rappeler que l’Académie française, dont le travail harassant est de fixer les mots et les expressions dans le dictionnaire officiel de la langue française, n’est pas composée de linguistes, comme on serait en droit de s’y attendre, mais d’écrivains.

L’usage fait la langue et les écrivains font la langue officielle, c’est comme ça qu’on fonctionne en France.

Je me suis donc, naturellement, tournée vers les écrivains. Où donc ? Mais dans ma bibliothèque, parbleu !

Jusque là, tout est clair ?

Fort bien.

Voici maintenant quelques extraits, du plus ancien au plus récent.

Comment ponctuer un dialogue : étude de cas

Extrait du journal “Le Siècle” du 16 décembre 1848.

Un certain Alexandre Dumas signe un épisode de “Le Vicomte de Bragelonne”. Nous avons de la chance, il s’agit presque entièrement d’un dialogue.

Il s’agit d’un fac-similé de journal, nous sommes donc certain(e)s qu’aucun éditeur n’est passé par là en se permettant de modifier la ponctuation, ce qui est parfois le cas lors de rééditions de textes tombés dans le domaine public et remis au goût du jour.

Fac-similé de journal Le Siècle

Comme vous pouvez le lire, aucun guillemet ne vient ponctuer la lecture. Le tiret cadratin à lui seul suffit à annoncer la prise de parole. Ca alors !

Détail savoureux, une coquille s’est glissée dans ce passage, saurez-vous la repérer ?

Continuons.

“La feuille”, imprimé à Paris en 1898, soit cinquante plus tard.

En cinquante ans, les choses ont le temps de changer. Comment donc use-t-on de la ponctuation des dialogues durant la Troisième république ?

extrait journal la feuille

Fichtre ! Comme cinquante ans plus tôt, les dialogues sont introduits par des cadratins, on n’y trouve pas trace de guillemets.

En revanche, j’attire votre attention sur la quatrième colonne et sur le premier paragraphe “… dans le passage que je guillemette…” Tiens tiens. Le verbe “guillemeter” ou “guilleméter” est bien un verbe, je vous rassure.

Les guillemets sont utilisés pour citer les paroles de quelqu’un, hors dialogue.

Allons plus loin.

En 1926, mon grand-père, Lucien Damon, alors scolarisé en classe de 5e, reçut un prix décerné par la République française, à savoir, un livre. “La vocation d’un fils de pêcheur”, de Monsieur Arsène Guérin.

Mention assez bien

« La vocation d’un fils de pêcheur », 1926.

J’éprouve une tendresse toute particulière pour ce grand-père, c’est sans doute pour cela que ce livre se trouve aujourd’hui dans ma bibliothèque, que j’ai pourtant allégée à de nombreuses reprises lors de mes déménagements successifs. Si j’avais dû conserver tous les livres qui ont jalonné ma vie, je devrais louer au moins trois pièces de plus pour les entreposer.

Encore une digression. Décidément, je ne sais pas ce qui m’arrive aujourd’hui, on dirait que j’ai comme une envie de discuter… ou du mal à me passionner pour la ponctuation des dialogues de roman.

Pardon. Je reviens à notre sujet. Notons quand même au passage que “La vocation d’un fils de pêcheur” ne porte aucune mention de la date d’édition ni d’impression. Sans la vignette de l’École communale mentionnant le Prix, je serais dans l’embarras.

C’est d’ailleurs le cas pour beaucoup d’éditions anciennes. Si l’un(e) d’entre vous sait de quand date l’usage de la mention de la date de première publication en deuxième de couverture, merci de m’éclairer.

En 1926, le cadratin règne-t-il toujours en maître sur les dialogues ?

Extrait de livre - ponctuation dialogues

Et oui. C’est bien le cas.

« La vie devant soi », 1975.

En 1975, un certain Emile Ajar, qui n’est autre que Romain Gary, publie “La vie devant soi”, qui remportera le Prix Goncourt.

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Extrait roman - ponctuation dialogues

Surprise ?

Mais pourquoi donc ?

Là encore, l’usage est le même. Pas de guillemets, seulement des tirets cadratins pour introduire les dialogues.

Et plus près de nous ?

“Dieu n’habite pas à La Havane” de Yasmina Khadra, paru en 2016.

Extrait roman - formatage des dialogues

C’est pareil ! Là encore, on se passe de guillemets.

On dirait bien que nous avons mis la main sur une règle absolue. Pas de guillemets pour introduire les dialogues. Youpi ! Nous voilà soulagés.

A l’école on nous avait raconté des salades.

Allez, encore un petit, pour la route. Assurons-nous qu’il n’y a pas d’exception. Et même, revenons un peu sur nos pas.

2014. “Parmi les loups et les bandits” – Atticus Lish – Grand Prix de littérature américaine.

Photo roman - ponctuer les dialogues

Ah flûte ! La tuile ! Il y bien des dialogues, mais pas de cadratins. Pas non plus de guillemets. Rien de rien. Nibe. Wallou. Zéro calebasse.

Juste un retour à la ligne.

Mais ça se lit, comme ça ? Ca se comprend ?

Et bien oui.

Qu’en pensez-vous ?

Quand même, voila qui jette un froid dans ma belle démonstration.

Creusons encore.

Voyons en 2015. “Le grand ordinaire”, de Jérémy Chambers.

Extrait roman - ponctuation dialogues

Identique. Ni cadratins, ni guillemets, seulement un retour à la ligne.

Ah ah ! Il y aurait donc une manière anglo-saxonne de formater les dialogues tendant à la simplification extrême et une manière française plus traditionnelle – et complexe ?

Rogntudju ! J’en aurai le cœur net.

Anglosaxon toujours, 2016 encore.

“Morwenna” de Jo Walton.

photo roman comment ponctuer un dialogue

Damned ! Sacrebleu ! Nous v’la bien !

Le voila enfin, ce formatage scolaire dont on nous a tant rebattu les oreilles, et dont apparemment les écrivains se fichent comme de leur première liquette !

Car il ne vous a pas échappé, n’est-ce pas, que je ne vous l’ai pas encore donnée, cette fichue règle. De vous à moi, je l’ai fait exprès.

Guillemets + cadratin ! Une débauche de ponctuation. Dans un roman de fantasy !

Est-ce que ce formatage hyper classique scolaire est réservé aux littératures de l’imaginaire comme une façon de contrebalancer la magie et tout le saint-frusquin que l’auteure nous fait avaler ?

Je replonge.

« Michel Strogoff » – Jules Verne – 1876.

photo roman Jules Vernes

Jules Verne et Jo Walton sont d’accord sur la ponctuation des dialogues. Cadratins plus guillemets pour introduire la partie dialoguée.

Mais alors, il n’y a pas vraiment de règle ? Ca ne dépend pas de l’époque ? Ni de la nationalité ?

Et en 2020, on fait comment ?

“Nos frères inattendus” – Amin Maalouf.

extrait roman dialogue et ponctuation

Oulalalalala !

Connaissez-vous l’expression “c’est le pompon” ? Elle me semble appropriée, n’est-ce pas ?

Voila que contre toute attente, c’est le cadratin qui s’est fait la malle et le guillemet qui le remplace.

La perplexité est à son comble.

Je ne pouvais pas ne pas partager cela avec vous, n’est-ce pas ?

Guillemets ou pas guillemets, cadratins ou pas cadratins, les deux mon capitaine, ou aucun des deux, tous les cas de figure sont envisageables.

La leçon que nous pouvons en tirer : faites comme vous voulez.

Il y a malgré tout quelques règles de bon sens à respecter afin de faciliter la compréhension du lecteur.

7 clés pour bien ponctuer un (bon) dialogue 🗝️

Clé n°1 – Revenez à la ligne 🗝️

Lorsqu’un personnage prend la parole, revenez à la ligne. Mais si vous citez ce qu’il dit dans le corps de votre phrase, vous vous contenterez de mettre ses paroles entre guillemets.

Clé n°2 – Soyez constant 🗝️

Une fois que vous avez choisi votre méthode de ponctuation des dialogues, employez la même d’un bout à l’autre de votre texte.

Clé n°3 – Placez correctement vos incises 🗝️

Intercalez l’incise, soit entre deux virgules (dit-elle en se grattant le nez… répondit-il machinalement) le plus tôt possible après quelques mots, soit, si la phrase d’ouverture est courte, à la fin de celle-ci.

Clé n°4 – N’abusez pas des incises 🗝️

La plupart du temps, elles indiquent seulement qui prend la parole. Parfois, elle précisent un geste ou une intention. Mais n’en faites pas un passage obligé. Surtout si le dialogue ne concerne que deux personnages.

Clé n°5 – Majuscule ou pas majuscule ? 🗝️

Jamais de majuscule a une incise après un point d’interrogation ou d’exclamation, même si votre correcteur orthographique automatique s’obstine à effectuer le changement (Pourquoi utiliser des guillemets ? dit-elle).

Clé n°6 – N’abusez pas des verbes de parole 🗝️

Il n’y a rien de tel pour flinguer un dialogue. “Dire”, “répondre”, à la rigueur “s’exclamer”, si vous estimez que le point d’exclamation ne suffit pas, ou “interrompre” si les personnages sont plus de deux dans la discussion, “appeler” ou “héler” le cas échéant.

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C’est ce que dit le personnage qui doit renseigner le lecteur sur son état d’esprit.

Relisez tous les extraits ci-dessus pour vous en convaincre, moins l’écrivain agite les bras en disant “coucou je suis là, regarde comme j’écris bien”, plus il s’efface derrière son personnage, meilleur est le dialogue – et meilleur est le roman.

Si vous ne pouvez pas vous en empêcher, qu’un nouveau verbe de parole baroque s’échappe sur votre page à chaque nouvelle prise de parole, proscrivez au moins sans pitié les formes archaïques interro-négatives à la première personne qui n’ont plus cours que dans la très mauvaise ou très pédante littérature.

Foin des “rétorqué-je” !

Ma pire rencontre au hasard de bêta-lectures ? “lui appris-je”.

Oui, vous avez bien lu. Après “lui appris-je”, difficile de s’élever dans l’éther parfumé de l’imaginaire, n’est-ce pas ?

Clé n°7 – Des dialogues utiles et compacts 🗝️

N’oubliez pas que le dialogue n’est pas là pour faire joli mais pour faire avancer votre schmilblick et renseigner sur les personnages.

Oubliez les “bonjour”, “merci madame” et autre “belle journée”. Démarrez par une parole forte et/ou pleine de sens, terminez sur une parole forte et/ou pleine de sens.

Autrement dit, une fois que le dialogue a rempli son office, revenez à la narration.

La ponctuation, un système de notation en évolution permanente

N’oubliez jamais que la langue est vivante, qu’elle évolue en permanence, que vous le vouliez ou non et que l’Académie se contente de fixer l’usage établi, elle ne crée rien.

Vous écrivez en 2021. N’essayez pas de reproduire la langue du 18e siècle, à moins d’avoir une bonne raison.

La ponctuation n’est pas la langue. Elle est “la notation” de la langue. Tout comme l’orthographe.

Quant aux règles que vous avez apprises à l’école, elles ne sont pas utilisées par tous les écrivains sans exception, loin s’en faut, car elles servent à écrire des rédactions.

Si le sujet vous intéresse, vous savez sûrement que les anciens manuscrits ne sont pas mis en page de la même façon que les livres d’aujourd’hui.

Le parchemin, puis le papier, était rare et cher. L’encre également. Les moines copistes ont longtemps utilisé toute la surface disponible. Pas de marges, pas de retours à la ligne et pour les plus anciens, même pas de séparations entre les mots.

Si guillemets et cadratins ont vu le jour, c’est pour faciliter la compréhension. Suivez cet exemple et écrivez pour être compris par votre lecteur.

Pour aller plus loin, sachez que je me suis aussi efforcée de voir clair sur la meilleure façon d’écrire les dialogues et plus généralement sur la langue ici et ici, et sur la ponctuation ici. Servez-vous.

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