Oulipo, créer sous la contrainte 🎧

Nous appelons littérature potentielle la recherche de formes, de structures nouvelles et qui pourront être utilisées par les écrivains de la façon qui leur plaira .

Site officiel de l’Oulipo

Impossible de parler d’écriture collective sans évoquer l’Oulipo, OUvroir de LItttérature POtentielle.

L’Oulipo nous démontre l’utilité de la contrainte en matière de créativité.

La contrainte donne un axe à la création et pousse le créateur dans des directions qu’il n’aurait pas empruntées s’il avait été libre de ses mouvements.

La création de l’Oulipo [Ouvroir de Littérature Potentielle]

Tout d’abord appelé Séminaire de Littérature Expérimentale (Sélitex), l’Oulipo voit le jour en 1960, autour d’une charte fixée par Raymond Queneau.

Un groupe rassemblant des écrivains attirés par les mathématiques et des mathématiciens attirés par la littérature se réunit.

L’Oulipo refuse d’emblée l’étiquette de « mouvement littéraire », « prenant ainsi ses distances avec les pseudo « avant-gardes » littéraires, ainsi qu’avec la littérature aléatoire

Le projet est d’explorer les potentialités de la littérature et de la langue. Pour cela, on utilise la contrainte.

Deux axes se dégagent  :

➡️L’invention de contraintes nouvelles pour la production d’œuvres originales

➡️La dissection des œuvres littéraires existantes et la mise en évidence de l’utilisation des contraintes dans leur structure.

Myself, dans un article paru chez Jérôme Vialleton

L’Oulipo rejoint par de nombreux écrivains

Au fil des ans, de nombreux poètes et écrivains rejoignent l’OuLiPo, qui publie collectivement à de multiples reprises et chez divers éditeurs : Gallimard, Larousse, le Seuil, le Castor Astral, les Mille et une nuits.

La Bibliothèque oulipienne contient plus de 220 fascicules.

L’activité foisonnante du groupe fournit également la matière de nombre de travaux universitaires, en France ou à l’étranger.

Le grand auditorium de la Bibliothèque Nationale accueille des séances mensuelles de lecture oulipienne, Les jeudis de l’OuLiPo.

Les exercices « oulipiens » sont utilisés en atelier et figurent dans les manuels scolaires.

Ce qui se présente doublement comme un jeu et une démarche scientifique est du pain béni pour les pédagogues, tous niveaux confondus.

Les romanciers de l’Oulipo

Parmi les oulipiens célèbres, on compte Georges Perec et Italo Calvino.

Georges Perec

Anton Voyl n’arrivait pas à dormir. Il alluma. Son Jaz marquait minuit vingt. Il poussa un profond soupir, s’assit dans son lit, s’appuyant sur son polochon. Il prit un roman, il l’ouvrit, il lut; mais il n’y saisissait qu’un imbroglio confus, il butait à tout instant sur un mot dont il ignorait la signification.
Il abandonna son roman sur son lit. Il alla à son lavabo; il mouilla un gant qu’il passa sur son front, sur son cou.
Son pouls battait trop fort. Il avait chaud. Il ouvrit son vasistas, scruta la nuit. Il faisait doux. Un bruit indistinct montait du faubourg. Un carillon, plus lourd qu’un glas, plus sourd qu’un tocsin, plus profond qu’un bourdon, non loin, sonna trois coups. Du canal Saint-Martin, un clapotis plaintif signalait un chaland qui passait.
Sur l’abattant du vasistas, un animal au thorax indigo, à l’aiguillon safran, ni un cafard, ni un charançon, mais plutôt un artison, s’avançait, traînant un brin d’alfa. Il s’approcha, voulant l’aplatir d’un coup vif, mais l’animal prit son vol, disparaissant dans la nuit avant qu’il ait pu l’assaillir. »

Georges Perec

Que ressentez-vous à la lecture de ce texte ? Ne vous donne-t-il pas une impression curieuse ? Moi oui.

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Savez-vous pourquoi ?

Il s’agit d’un extrait de « La Disparition », de Georges Perec, qui est le plus célèbre des lipogrammes sans e, un roman écrit sans que la lettre e soit utilisée, à aucun moment.

Contrainte qui oblige parfois l’auteur à inventer des mots pour en remplacer d’autres, ou à détourner leur graphie. Comme ici :

Estelle, cependent, persévère près de l’Evêqe et espère qe le sperme se déverse de cette qeqette q’elle ne cesse de brenler, mets l’Evêqe est très près de ses septente berges et les verges de grends-pères, certes, menqent de verve, de genesse et de ggêté.
– Très chère enfent, fêt l’Evêqe, ne te désespère ! Tes brenlettes m’enchentent, mets je sens qe je te pèse et te permets de chercher qelqe verge enchenteresse ! Prend Tencrède, l’est vrément ferré !
– Z’ètes schwette, Emeenence, repleeqe Estelle, et ne me pesez ! J’hème les vétérents et les presqe-centenères ! Mets cette Excellence me permet-elle de l’éder de qelqe recette secrète ?
– Vrément secrète ? demende l’Evêqe.
– Certes, secrète n’est le terme réel, cette recette est dens qelqes textes.
– Et q’est-elle ?
– C’est célèbre dès l’extrême-Reneessence – et les externes de Necker ne menqent de le déceler chez les désespérés – qe c’est qend le mec est presqe crevé qe le membre se dresse, et le remède sélect, c’est de le pendre !
– Me pendre ? Mets je ne cherche le décès !!
– Qe cette Excellence reste serène ! Je te pends et je te dépends ! Entre temps, z’ètes le grend Pen et me prenez.
– C’est vré ? Je bende ?
– Tels les mecs près de Trézène.
– Le strétégème ne me plêt gere, chère enfant, mets j’hémerè tellement te bézer qe je le feré !
– Ne le regretterez, Excellence, je t’en fé le serment, et même le serrement.
Et Estelle lèche tendrement le membre négleegent et sédentère de l’Evêqe et entreprend de le pendre. Mets ce n’est tellement thésée.
– Hé, les mecs et les nenettes, demende Estelle, venez m’éder !

Georges Perec

Il s’agit cette fois du roman « Les Revenentes », dans lequel, a contrario, la seule voyelle admise est le e.

Perec boucle ainsi un cycle, fidèle au principe des contraintes mathématiques de l’Oulipo.

« La Vie mode d’emploi » , autre roman de Perec, est un puzzle d’histoires imbriquées selon une combinatoire précise pour lequel Georges Perec se verra décerner le prestigieux prix Médicis en 1978.

Italo Calvino

Autre oulipien émérite, Italo Calvino propose sa propre version du roman fragmenté, dans une mise en abyme à la deuxième personne du singulier, puisque le personnage est… le lecteur lui-même.

Il s’agit du roman «Si par une nuit d’hiver un voyageur… ».

Extrait :

L’idée m’est venue d’écrire un roman tout entier fait de débuts de romans. Le protagoniste pourrait en être un Lecteur qui se trouve sans cesse interrompu. Le Lecteur achète le nouveau roman A de l’auteur Z. Mais l’exemplaire est défectueux, et ne contient que le début… Le Lecteur retourne à la librairie pour échanger son exemplaire…

Je pourrais l’écrire tout entier à la seconde personne : toi, Lecteur… Je pourrais aussi faire intervenir une Lectrice, un traducteur faussaire, un vieil écrivain qui tient un journal comme celui-ci…

Mais je ne voudrais pas que, pour échapper au Faussaire, la Lectrice finisse entre les bras du Lecteur. Je ferai en sorte que le Lecteur parte sur les traces du Faussaire, lequel se cache en un pays très éloigné ; de la sorte, l’Ecrivain pourra rester seul avec la Lectrice.

Seulement, privé d’un personnage féminin, le voyage du Lecteur perdrait de son charme : il faudra qu’il rencontre sur sa route une autre femme. La Lectrice pourrait avoir une sœur… 

Italo Calvino

Les expériences menées sur la langue et sur la structure du texte par les oulipiens ont ouvert des champs entiers à la créativité des écrivains.

Plus modestement, il est possible de «jouer à l’Oulipo » chez soi, seul ou entre amis. Ou encore en classe.

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En voiture !

Les contraintes mathématiques pour surprendre la langue

Commençons doucement.

Saurez-vous reconnaître les vers suivants, très très célèbres ?

Oulipo-contrainte-ecriture-infographie

C’est joli, n’est-ce pas ? Tout en subtilité.

Ca ne vous rappelle pas quelque chose ?

La Haïkaïzation, c’est une contrainte inventée par l’Oulipo qui consiste à tendre vers le Haïku sans jamais le copier.

A partir de textes existants, conservez uniquement les fins de vers, afin d’obtenir des rimes brèves.

Autre exemple, à partir de La Mort des pauvres de Charles Baudelaire :

infographie-Oulipo-contrainte-ecriture-Baudelaire

Pas mal, non ? Moi j’adore.

Vous pouvez faire cet exercice avec des poèmes mais aussi à partir de textes de chanson, de paragraphes de romans…

Les possibilités ludiques sont infinies et peuvent déboucher sur de charmantes découvertes.

Explorer les contraintes

Vous connaissez aussi le principe du cylindre. Mais si.

Trois petits chats, trois petits chats, trois petits chats chats chats…

A partir d’une phrase, cela donne par exemple (cité sur le site officiel de l’Oulipo) :

Le pilote ferme la carlingue vide – la carlingue vide le pilote ferme 

Site de l’Oulipo

Autres contraintes connue de tous : l’acrostiche, l’alexandrin ou l’anagramme.

Mais savez-vous de qu’est la rime berrichonne, le poème de métro, l’arbre à théâtre ou  encore la contrainte du prisonnier  ?

Avez-vous déjà entendu parler de la petite morale élémentaire portative ?

Ca donne envie d’en savoir plus, n’est-ce pas ?

Savez-vous que ce fut Raymond Queneau, encore lui, qui inventa le principe du récit interactif.

Ce principe utilisé par les livres-jeux « dont vous êtes le héros ».

Cela s’appelle Conte à votre façon. Et voici ce conte, dans son intégralité :

Le conte dont vous êtes le héros

1-Désirez-vous connaître l’histoire des trois alertes petits pois ?
Si oui,  passez à 4.
Si non, passez à 2.

2-Préférez-vous celle des trois minces grands échalas ?
Si oui, passez à 16.
Si non, passez à 3.

3-Préférez-vous celle des trois moyens médiocres arbustes ?
Si oui, passez à 17.
Si non, passez à 21.

4-Il y avait une fois trois petits pois vêtus de vert qui dormaient gentiment dans leur cosse. Leur visage bien rond respirait par les trous de leurs narines et l’on entendait leur ronflement doux et harmonieux.
Si vous préférez une autre description, passez à 9.
Si celle-ci vous convient, passez à 5.

5-Ils ne rêvaient pas. Ces petits êtres en effet ne rêvent jamais.
Si vous préférez qu’ils rêvent passez à 6.
Si non, passez à 7.

6-Ils rêvaient. Ces petits être en effet rêvent toujours et leurs nuits sécrètent des songes charmants.
Si vous désirez connaître ces songes, passez à 11.
Si vous n’y tenez pas, vous passez à 7.

7-Leurs pieds mignons trempaient dans de chaudes chaussettes et ils portaient au lit des gants de velours noir.
Si vous préférez des gants d’une autre couleur, passez à 8.
Si cette couleur vous convient, passez à 10.

8-Ils portaient au lit des gants de velours bleu.
Si vous préférez des gants d’une autre couleur, passez à 7.
Si cette couleur vous convient, passez à 10.

9-Il y avait une fois trois petits pois qui roulaient leur bosse sur les grands chemins. Le soir venu, fatigués et las, ils s’endormirent très rapidement.
Si vous désirez connaître la suite, passez à 5.
Si non, passez à 21.

10-Tous les trois faisaient le même rêve, ils s’aimaient en effet tendrement et, en bons fiers trumeaux, songeaient toujours semblablement.
Si vous désirez connaître leur rêve, passez à 11.
Si non, passez à 12.

11-Ils rêvaient qu’ils allaient chercher leur soupe à la cantine populaire et qu’en ouvrant leur gamelle, ils découvraient que c’était de la soupe d’ers. D’horreur, ils s’éveillent.
Si vous voulez savoir pourquoi ils s’éveillent d’horreur, consulter le Larousse au mot « ers » et n’en parlons plus.
Si vous jugez inutile d’approfondir la question, passez à 12.

12-Opopoï ! S’écrient-ils en ouvrant les yeux. Opopoï ! Quel songe avons-nous enfanté là ? Mauvais présage dit le premier. Oui-da dit le second, c’est bien vrai, me voilà triste. Ne vous troublez pas ainsi, dit le troisième qui était le plus futé, il ne s’agit pas de s’émouvoir, mais de comprendre, bref, je m’en vais vous analyser ça.
Si vous désirez connaître tout de suite l’interprétation de ce songe,
Passez à 15.
Si vous souhaitez au contraire connaître les réactions des deuxautres, passez à 13.

13-Tu nous la bailles belle, dit le premier. Depuis quand sais-tu analyser les songes ? Oui, depuis quand, ajouta le second ?
Si vous désirez aussi savoir depuis quand, passez à 14.
Si non, passez à 14 tout de même car vous ne le saurez pas plus.

14-Depuis quand ? s’écria le troisième. Est-ce que je sais moi ! Le fait est que je pratique la chose. Vous allez voir !
Si vous voulez aussi voir, passez à 15.
Si non, passez également à 15, car vous ne verrez rien.

15-Eh bien ! voyons, dirent ses frères. Votre ironie ne me plaît pas, répliqua l’autre, et vous ne saurez rien. D’ailleurs au cours de cette conversation d’un ton assez vif, votre sentiment d’horreur ne s’est-il pas estompé ? effacé même ? Alors à quoi bon remuer le bourbier de votre inconscient de papilionacées ? Allons plutôt nous laver à la fontaine et saluer ce gai matin dans l’hygiène et la sainte euphorie ! Aussitôt dit, aussitôt fait : les voilà qui se glissent hors de leur cosse, se laissent doucement rouler sur le sol et puis au petit trot gagnent joyeusement le théâtre de leurs ablutions.
Si vous désirez savoir ce qui se passe sur le théâtre de leurs ablutions, passez à 16.
Si vous ne le désirez pas, vous passez à 21.

16-Trois grands échalas les regardaient faire.
Si les trois grands échalas vous déplaisent, passez à 21.
S’ils vous conviennent, passez à 18.

17-Trois moyens médiocres arbustes les regardaient faire.
Si les trois moyens médiocres arbustes vous déplaisent, passez à 21.
S’ils vous conviennent, passez à 18.

18-Se voyant ainsi zyeutés, les trois alertes petits pois qui étaient fort pudiques s’ensauvèrent.
Si vous désirez savoir ce qu’ils firent ensuite, passez à 19.
Si vous ne le désirez pas, vous passez à 21.

19-Ils coururent bien fort pour regagner leur cosse et, refermant celle-ci derrière eux, s’y endormirent de nouveau.
Si vous désirez connaître la suite, passez à 20.
Si vous ne le désirez pas, vous passez à 21.

20-Il n’y a pas de suite, le conte est terminé.

21-Dans ce cas, le conte est également terminé.

Raymond Queneau, Conte à votre façon

Étonnant, n’est-ce pas ?

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Rendez-vous sur le site officiel de l’Oulipo

Je vous encourage à expérimenter par vous même toutes les propositions de l’Oulipo et à créer vos propres jeux.

Le site officiel de l’OuLiPo est ici.

Si je suis parvenue à vous ouvrir l’appétit, vous voudrez peut-être enfin vous lancer en écriture ou vous inscrire à un atelier.

Si c’est le cas, écoutez mon podcast en 4 parties, « Devenir écrivain », qui est le résumé de l’ouvrage éponyme d’Alain André, créateur d’Aleph-écriture, pour profiter de ses trente-cinq ans d’expérience.

Et si ce n’est pas déjà fait, remplissez le formulaire ci-dessous pour demander « 7 recettes et 7 exercices » qui ont fait leurs preuves.

A la semaine prochaine.

Pour progresser plus vite en écriture et échanger avec d’autres écrivains, rejoignez le groupe Facebook des passionnés : L’Atelier de fiction

C’est un atelier d’écriture créative en ligne où sont publiés et commentés de nouveaux exercices plusieurs fois par semaine.

A TOUT DE SUITE DE L’AUTRE CÔTE
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10 réponses à “Oulipo, créer sous la contrainte 🎧”

  1. Super article. J’aime beaucoup le fait que tu prends systématiquement des exemple concrets qui amènent des pistes de réflexions intéressantes. Merci pour ce bel article qui me donne envie de progresser dans mon écriture en générale.

    1. Merci Yanis, contente de pouvoir t’aider.

  2. Je suis très créative, et j’adore découvrir de nouvelles idées pour se dépasser dans la création. Un peu comme utiliser un vêtement existant pour en faire autre chose, alors qu’on a l’habitude d’acheter du tissu. C’est tout bonnement passionnant !

    1. C’est ça. Tu as tout à fait saisi l’idée.

  3. C’est dingue de se dire que l’on puisse trouver des « leviers de création » en s’appuyant sur la CONTRAINTE ! Ca semble totalement contradictoire voire contre intuitif d’imaginer que cela puisse aboutir à « du neuf ». Merci pour cette découverte !

    1. Eh oui, la contrainte, ça rend créatif !

  4. Merci pour cette belle découverte ! Je ne connaissais absolument pas l’Oulipo ! J’adore ce nom et encore plus le concept ^^

  5. Merci beaucoup pour cette chouette découverte. En effet, j’ai toujours préféré avoir du temps et être zen quand je suis dans la création mais j’avoue qu’avancer sous la contrainte met un sacré coup de boost !
    A bientôt !

    1. C’est surtout que ça donne un axe à la création et que ça modifie l’approche du créateur en l’obligeant à dépasser ses propres limites. Merci pour ton commentaire Détélina.

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