Renga, l’écriture participative à la japonaise 🎧

Je termine cette série d’articles consacrés à l’écriture collective en évoquant le renga.

Une forme peu connue des lecteurs français mais très célèbre au Japon, dont elle est issue.

Le Renga, qu’est-ce que c’est ?

« Renga » (ou renku) signifie littéralement « poème lié ».

Le renga est une forme poétique collective. C’est un art très ancien, qui se développe au Japon entre le VIIIe et le XVe siècle.

Le renga est très codifié. Plusieurs personnes, au minimum deux mais il n’y a pas de maximum, écrivent l’une après l’autre, comme ceci :

  • ➡️Personne 1 : écrit cinq vers en deux strophes (respectivement de 5-7-5 puis 7-7 syllabes, soit 31 syllabes au total).
  • ➡️Personne 2 : s’inspire de la première strophe et écrit la suite.

Nota bene : Le principe n’est pas d’écrire sur un thème donné, mais plutôt de laisser s’opérer les associations d’idées et de filer une pensée collective, comme un dialogue naturel.

Il n’y a pas d’ordre ou d’unité invariable de sujet ou de teneur, pas plus qu’il n’y a de pensée suivie, d’humeur ou d’affectivité constante. Un des principes fondamentaux du renku est d’éviter d’aller en direction d’un sujet unique tout en changeant de sujet de verset en verset. Chaque verset est la production d’une personne. Chaque personne utilise un des éléments du verset écrit par son prédécesseur pour créer à son tour son propre verset. Ce dernier, qui sera bien sûr ajouté à celui d’avant servira alors d’inspiration à une autre personne pour la création du verset suivant et ainsi de suite … On s’affirme en respectant la position des autres.

Yoneyama Masaru

infographie-renga-poesie-collective

L’écriture collaborative, une ancienne pratique japonaise

La composition collaborative est une tradition japonaise. Les poètes s’y adonnent depuis des lustres, ce qui, codifié, est devenu le renga.

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Autrefois, les poètes japonais s’affrontaient en compétition, sur un thème donné et sous le regard de juges.

Il s’agissait de poésie collective instantanée.

Le renga classique

Dans sa forme classique, le « renga court » est un dialogue bref, dans lequel l’interlocuteur doit compléter le vers énoncé.

La construction est toujours 5-7-5 ou de 7-7 syllabes.

La première strophe de la chaîne

du renga, le hokku

[5-7-5 syllabes]

est l’ancêtre des modernes haïku.

On parle de « renga long » lorsque cette forme se déploie, parfois sur une centaine de vers.

Certains renga composent une chaîne de 10.000 vers. Ils sont composés en groupe à l’occasion de sessions de plusieurs jours.

Les règles spécifiques du renga classique sont les suivantes : seule la première pièce (vers) doit être autonome (en sens). Le deuxième ne peut pas être autonome. Il doit contenir un mot de la même “saison” que le premier. Le troisième doit changer la scène. Autour du cinquième, on doit faire référence à la lune. Une référence à l’amour doit se trouver entre le 17e et le 19e vers. Le renga est comparable à un voyage, on voit devant et derrière soi, mais le paysage change à tout moment. Les saisons ne doivent pas tourner en sens inverse. On ne peut réutiliser les mêmes thèmes. Un mot ne peut être utilisé deux fois. Si on évoque le printemps et l’automne, il doit persister entre trois et cinq vers. L’été et l’hiver, de un à trois. Les insectes ne doivent être mentionnés qu’une seule fois au plus. Un vers est seulement en relation avec ses voisins immédiats.

Patrick Simon, Revue du Tanka francophone 

Exemple de Renga (début)

Cité par Yoneyama Masaru dans son long article au sujet du renga (traduction René Sieffert), « Dans la rue marchande » est un renga de 36 strophes qui débute ainsi :

infographie-renga-rue-marchande

Le renga moderne

Le renga continue de vivre et d’inspirer les poètes. Pas seulement les poètes japonais.

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En 1969, la prestigieuse collection blanche de la maison Gallimard publie «Renga ».

Cet ouvrage réunit les poètes Jacques Roubaud (France), Octavio Paz (Mexique), Eduardo Sanguinetti (Italie) et Charles Tomlison (Angleterre).

A son sujet, le dossier de presse Gallimard nous dit ceci :

Le premier renga occidental vient de naître. Le résultat est passionnant. La rencontre d’une vieille tradition littéraire orientale et de quatre poètes modernes, ayant en commun le goût des formes strictes, des jeux combinatoires, donne naissance à un grand poème moderne : quatre poètes, quatre langues européennes, une règle du jeu japonaise, et à la fin un seul texte, une seule voix à la quadruple résonance.

Dossier de presse Gallimard « la blanche »

Maurice Coyaud, quant à lui, nous propose d’aller plus loin dans la connaissance de la poésie japonaise dans son ouvrage « Tanka Haiku Renga : le triangle magique », ainsi présenté :

A la fois étude et anthologie des chefs-d’œuvre de la poésie japonaise, ce livre est la meilleure et la plus accessible approche de ces formes dont les règles élémentaires ont pour but essentiel la captation de l’instant vécu dans son jaillissement. On pourrait illustrer cette trinité poétique par la formule de Rimbaud : « j’écrivais les silences…, je notais l’inexprimable, je fixais les vertiges…

Résumé du livre sur la plateforme de vente

L’écriture participative, une source inépuisable !

Voila.

A l’issue de ce cycle de trois articles sur l’écriture à plusieurs mains, nous avons abordé l’Oulipo, le renga, et parlé des ateliers d’écriture créative.

Que ce soit afin de jeu, de production d’un texte collectif ou dans l’objectif d’un projet personnel, la marque de fabrique de l’écriture collective est l’expérimentation, sous toutes ses formes.

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Je vous laisse explorer cette mine d’or tout à votre guise et je vous propose un petit jeu.

Proposition d’écriture à partir du renga

Jouez avec quelques amis. Ecrivez une phrase sur un morceau de papier que vous plierez en 4 et déposerez dans un chapeau (ou dans un saladier !). Choisissez bien.

Quelque chose qui ouvre l’imaginaire, un vers que vous aimez, l’incipit d’un roman, le début d’une chanson... Mais pas trop connu pour ne pas orienter la créativité dans un sens ou un autre.

Si vous n’êtes pas nombreux, faites plusieurs propositions chacun.

Ensuite, tirez à la courte paille celui qui commence. A partir du papier qu’il a choisi et qu’il a tenu secret, il écrit un paragraphe en un temps imparti. Quinze minutes, c’est pas mal.

Puis un deuxième prend la suite et s’inspire du paragraphe précédent pour écrire la suite. Et ainsi de suite.

Pendant ce temps-là les autres peuvent boire un coup.

Il est également possible de tirer chacun un papier et de commencer tous en même temps puis de remettre les papiers dans le chapeau pour le tirage suivant mais cela enlève un peu de saveur.

L’attente fait partie du jeu.

Amusez-vous !

En attendant de pouvoir écrire votre ringa en famille

Si comme moi la littérature vous passionne, si vous rêvez de passer à l’acte, je vous invite à écouter également mon podcast en 4 parties, « devenir écrivain », qui est le résumé de l’ouvrage éponyme d’Alain André, créateur d’Aleph-écriture, pour profiter de ses trente-cinq ans d’expérience.

Et si ce n’est pas déjà fait, remplissez le formulaire pour demander « 7 recettes et 7 exercices » pour remédier à la panne d’écriture.

A la semaine prochaine.

Pour progresser plus vite en écriture et échanger avec d’autres écrivains, rejoignez le groupe Facebook des passionnés : L’Atelier de fiction

C’est un atelier d’écriture créative en ligne où sont publiés et commentés de nouveaux exercices plusieurs fois par semaine.

a tout de suite de l’AUTRE CÔTE
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13 réponses à “Renga, l’écriture participative à la japonaise 🎧”

  1. C’est une très bonne idée. J’ai déjà fait ce genre d’exercice avec des amis et c’était très amusant

    1. Oui c’est un jeu de société pas cher qu’on invente soi-même au fur et à mesure. Avec des enfants aussi, c’est très drôle. Et il en sort parfois des merveilles.

  2. Excellent article et belle découverte ! Merci, j’adore ce genre de pratique participative, ça peut être très fun avec l’ouverture et la mise en commun des imaginations 🙂

    1. Oui, c’est beaucoup plus marrant que de regarder la télévision, chacun son programme, dans son coin, je te le confirme.

  3. Sujet très intéressant. Je ne connaissais pas le Renga. J’ai appris quelque chose.

    Merci pour cette découverte.

  4. Merci pour ce partage. C’est très intriguant, cette écriture collective et tellement intéressant. C’est un concept qu’il faudrait exploiter.

  5. Sophie WILLOCQUET dit :

    Bonjour Sylvie. Article très intéressant. Il m’a rappelé un peu le principe de l’improvisation. Cet exercice peut être vraiment très riche. La créativité est de rigueur ici. Il faut oublier le confort de sa propre imagination pour laisser entre l’autre.

    1. Oui c’est tout à fait ça. En fait, on le fait tout le temps… ça s’appelle la communication.

  6. Article super intéressant, je ne connaissais pas du tu mais je trouve l’idée génial. Pouvoir écrire en groupe et laisser ses idées et sa créativité faire le reste c’est génial. Bel article 😊

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