Technique narrative : créer l’ambiance par l’utilisation de phrases longues.

Cette série de billets n’a pas d’autre ambition que d’illustrer par l’exemple des techniques narratives éprouvées. Mais d’abord, commencez par écouter la lecture du passage tout entier, pour vous mettre dans le bain.

creer l'ambiance avec des phrases à tiroirs

Doit-on vraiment préférer écrire des phrases courtes ?

Je reçois beaucoup de questions de la part d’auteurs débutants qui se demandent s’il est vraiment obligatoire d’écrire des phrases courtes et seulement des phrases courtes.

C’est un conseil que l’on rencontre très souvent dans les masterclasses et les cours en ligne. N’essayez pas de faire des effets de manches. Ecrivez des phrases courtes. Faites simple.

On pourrait croire que c’est une obligation et que tout aspirant écrivain doit passer par là pour être crédible.

En réalité, la bonne longueur pour vos phrases dépend de l’ambiance que vous voulez installer, du souffle que vous souhaitez transmettre au lecteur.

Et n’a rien à voir avec votre degré de maîtrise, même si les phrases à tiroirs sont toujours plus casse-gueule.

Pour illustrer ceci, je vous propose un d’examiner tout d’abord un extrait du Divan de Staline, de Jean-Daniel Baltassat, construit à l’aide phrases très longues.

Prochainement nous zieuterons de plus près un extrait de Céline Minard, Faillir être flingué, une suite de phrases très courtes et très précises.

Lisez aussi mon article sur le rythme de la phrase pour compléter celui-ci.

En exemple, deux phrases à tiroirs extraites du Divan de Staline :

« Ensuite, d’une manière presque enjouée, légère et dénuée de fatigue malgré la nuit avancée – une heure douze du matin de ce 21 novembre à Moscou comme à Borjomi, déjà six heures douze à P’yongyang tandis que les Américains de Washington, Boston où New York, en retard d’un jour, n’en sont qu’à la sortie des bureaux – se retirant d’un pas, ramenant la pipe entre ses lèvres et la rallumant de petites bouffées sèches, a pupille à nouveau vive et froide, pour ainsi dire tout entier redevenu Son Excellence Généralissime, il est temps de considérer les cartes de la Corée, leurs rubans rouges et noirs à proximité des cités du Huich’on, Kaech’on et Anju, en bordure du cours tortueux du Ch’ongch’on, la bande cobalt du fleuve Yalu courant se dissoudre dans l’azur de la mer Jaune, l’ombre noisette de la frontière chinoise n’étant qu’à quelques centimètres.» 

Jean-Daniel Baltassat
Exercice ecrire des phrases longues

Vous en prendrez bien une autre ?

« Et lui, Iossif Vissarionovitch, malgré les signes de son âge et le besoin qu’il a finalement de s’asseoir n’est pas le dernier à rire et plaisanter, à se montrer sous un jour qui laissera dans la mémoire des présents le souvenir du patriarche affectueux, libéral de toute sa puissance retenue, d’un mouvement magnanime du front ordonnant à Vlassik de faire venir autour de la table les membres de sa garde personnelle – officiers et sous-officiers triés sur le volet, endurcis contre le pire et dont on connaît les moindres replis de la dévotion – déjà éparpillés dans le palais, si bien qu’il n’est peut-être que Dovitkine, incapable de s’abandonner tout entier à la liesse du moment tant son désir est grand de s’en incruster la cervelle comme d’un diamant, pour remarquer que Tchoubinsky et Kouridze sont toujours relégués hors du palais dans un oubli lourd de signification.»

Idem

Deux phrases longues et complexes parmi beaucoup d’autres presque longues et complexes. Mais pour répondre à quel enjeu ?

Pour bien saisir l’enjeu d’une telle écriture, référons-nous à ce qui est raconté.

Staline et ses proches (état-major, espions et personnels de maison) sont dans la datcha de vacances du Petit Père des Peuples.

Les lecteurs de cet article ont lu aussi :  Technique narrative : préparer le lecteur à une révélation

Tout le monde a peur de lui -même si certains le vénèrent, ce qui n’est pas incompatible. Il est capable de faire froidement exécuter n’importe qui, même la personne qui l’a le mieux servi, s’il est persuadé qu’elle va le trahir ou qu’elle l’a trahi. L’ambiance est lourde. Un simple regard peut signifier un arrêt de mort.

Staline semble parfois confus, on dirait qu’il s’égare dans ses souvenirs, mais en réalité son esprit est toujours aussi affûté et il mène le bal du début à la fin. Il manie le verbe en virtuose, use des double-sens ou met les pieds dans le plat, selon son humeur, changeante.

La décoration de la salle où se tient le dîner est chargée de symboles, en plus des horloges murales pour les différentes parties du monde, des cartes d’état-major, du masque mortuaire de Lénine au mur.

Pour couronner le tout, la table déborde de victuailles et d’alcool.

Tout dans la scène qui est contée est complexe, riche de double sens, rien n’est tiède, tout déborde…

Excepté Staline, dont l’esprit est une lame tranchante, et la volonté dure et froide, sans pitié, sans demi-mesure.

L’impression qui se dégage des longues phrases à tiroirs est l’abondance, mais aussi l’instabilité, le danger…

Pour bien appréhender cette technique, essayez-là.

extrait de roman / lecture
Cliquez sur l’image ci-dessus pour accéder à la lecture du passage complet.

Exercices :

  • Pour bien saisir ce que fait Baltassat, réécrivez le passage.
  • Reprenez ces deux phrases et tronçonnez-les en phrases simples.
  • Voyez ce que ça change lors d’une lecture à voix haute.
  • Puis extrayez-en la matrice et intégrez-la dans votre propre style.

Pour vous aider, voici la matrice de la première phrase : Et …, malgré … et … que… ne pas… , à … qui…, …, de… de – …, …- déjà…, si bien que…, … tant… de se…, pour …

  • Comblez les trous.
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À vous de jouer.

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