Comment apprendre à structurer une histoire, tout en travaillant la concision

Désireuse d’aborder l’écriture sous l’angle ludique d’un atelier d’écriture – les êtres vivants apprennent en jouant, les humains ne font pas exception – j’ai créé la communauté de l’Atelier de Fiction sur Facebook. De nombreux auteurs, débutants ou chevronnés, m’y ont rejointe.

Nous nous sommes récemment exercés à écrire court, sans pour autant abandonner l’idée d’une histoire complète. Un personnage ou deux, un contexte, un déclencheur, une ou des actions, une chute.

groupe facebook atelier de fiction
Ce groupe Facebook est la partie gratuite et ludique de l'Atelier de Fiction, à ne pas confondre avec l'Atelier de Fiction PREMIUM, destiné à celles et ceux qui veulent se donner les moyens de produire leur meilleur roman.

La structure classique  d’une histoire : trois actes

Hormis les personnages, il y a deux aspects de l’écriture qui font toute la différence entre les bonnes et les moins bonnes histoires, ce sont la structure, et la concision. La structure parce que la pensée du lecteur doit pouvoir se glisser dans la pensée de l’auteur et en suivre le fil sans anicroche, la concision parce qu’une bonne histoire n’est jamais bavarde. Tout ce qui est mentionné est à sa place et sert le propos de l’auteur.

Mais au fait, une bonne structure, qu’est-ce que c’est ?


Les fondations d’une bonne histoire sont composées a minima de trois actes, sur le modèle des pièces de théâtre classique.

Certaines pièces comportent quatre ou cinq actes, mais dans l’ensemble, la structure en trois actes prévaut. Elle est si simple que l’on peut la développer à partir du canevas suivant :

Acte 1

Exposition de la situation, le contexte, la présentation des personnages principaux, les conflits, l’objectif du personnage principal, l’élément déclencheur qui remet en question tout ce petit monde et le jette dans l’aventure.  

Acte 2

Le conflit se développe et le personnage principal est entraîné vers une série de découvertes. Aucun retour en arrière n’est possible. Les diverses épreuves qu’il subit modifie en profondeur ses croyances et sa façon d’être, mais il n’en a pas conscience. Il continue d’avancer, il tente de résoudre les problèmes rencontrés en chemin. Il échoue et tout semble perdu pour lui. C’est au moment où il perd tout espoir et avoue son impuissance qu’un nouveau bouleversement l’emmène enfin dans la bonne direction.

Acte 3

Le personnage a conscience d’avoir changé. Sa vie est bouleversée, il tente de retrouver un équilibre. Toutes les intrigues secondaires développées dans les actes 1 et 2 trouvent une résolution dans l’acte 3, si elles n’avaient pas déjà été bouclées. Le dénouement arrive. C’est la conclusion de l’aventure, le règlement du conflit de chaque personnage et de chaque situation.

Les trois actes réduits à leur plus simple expression : Nanofictions de Patrick Baud

S’inspirant peut-être de cette structure, Patrick Baud utilisé la contrainte des 280 caractères maximum imposée par Twitter pour travailler la brièveté. Cela a donné Nanofictions, publié Chez Flammarion en 2018, que je vous recommande chaudement.

Des histoires complètes en quelques phrases et une chute.

Exemple :

« On ne choisissait pas ce qui sortait de ce distributeur automatique. C’est lui qui « sentait » ce dont on avait besoin. Intrigué, ce passant mit une pièce, et deux objets tombèrent la trappe. Un faux passeport, d’abord. Puis un revolver. »

Un exercice de concision

Toujours à la recherche d’idée pour le groupe, j’ai proposé aux membres de l’Atelier de Fiction de s’essayer à la concision à leur tour, en s’inspirant de la structure d’une nano de P. Baud.

Et pour corser le tout, j’ai rajouté deux mots pris au hasard dans un livre à portée de main.

En réalité, ces deux mots permettent de lancer l’imagination, et les membres de l’Atelier de Fiction ont accepté de jouer le jeu.

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Voici le premier énoncé publié :

Un texte est prêt à publier lorsqu’il n’y a plus rien à enlever. Travaillons la concision. Je vous propose d’étudier ce qui fait l’essence d’une nouvelle, à partir d’extraits de « NANO Fictions », de Patrick Baud. Pour commencer, voyons comment fonctionne ce nouveau jeu. Je publie une Nanofiction de Patrick Baud, assortie de deux mots tirés au hasard dans un roman. Vous écrivez votre propre Nano, en respectant la structure de celle de P.B. et contenant les deux mots. Autre contrainte : 280 caractères maximum.

La NANO de Patrick Baud qui doit vous inspirer la structure de la vôtre, dans laquelle vous intégrerez « Rencontres » et « Salive » :

« En mélangeant les 52 cartes de son paquet, il obtint par accident un ordre qui n’avait encore jamais été tiré. Un démon apparût :

– Veux tu ouvrir les portes de l’enfer ?

– J’ai juste besoin d’un partenaire de belote.

Ils jouèrent jusqu’à la fin des temps, mais le démon trichait. »

Et voici la production des membres :

Il sait qu’il ne peut échapper à ces rencontres qui font son destin. Il court, vite, à en perdre haleine. A peine arrivé, on lui demande de s’asseoir, la tête en arrière, la bouche bien ouverte. D’avaler sa salive surtout. La dame à la blouse le prévient : le dentiste va arriver. Alexandre Bertin

Les sites de rencontres selon compatibilité génétique promettaient l’âme sœur contre un échantillon de salive. Je crachais dans le tube, consciente que tout miser sur mon ADN était périlleux. Quand le résultat tomba, surprise : de prince charmant point mais de demi-frères, deux ! Stéphanie Virollet

Il s’était préparé tout le jour à l’idée de la rencontre, se demandant de quoi il aurait l’air. Se souvenant d’un adage qui disait qu’un appât rance n’attrapait guère de poisson, il s’était parfumé. Il saisit la poignée de l’armoire et l’ouvrit. Il avala sa salive, son reflet aussi. Thomas Costes

STRUCTURE EN TROIS ACTES

A partir d’une autre Nanofiction – Mots à utiliser : « S’échauffer » et « Litanies« 

Encore Noël. Il observait les convives autour de la table et attendait le moment. Celui où les esprits commenceraient à s’échauffer. Comme toujours. Mais pour une fois, il prit les devants et se rendit à la messe, lui qui ne croyait en rien. Litanies pour litanies… Autant partir. Laure Bergeron

Il y avait bien longtemps qu’il n’avait plus pratiqué la Parole. Mais s’il hésitait à se lancer, la douleur, elle, n’avait pas besoin de s’échauffer. Il inspira et commença à réciter des mots dont le sens lui échappait mais dont la litanie le couvrit de réconfort. Thomas Costes

Les esprits commençaient à s’échauffer alors mon père d’un regard noir, clôt la discussion. Je me renfrognais mais me rangeais à l’évidence que mes litanies n’y changeraient rien : cette année encore je n’aurais pas de poney à Noël. Stéphanie Virollet

Pour lire son roman, elle ajusta ses grosses lunettes, se plongea dans la mer de mots sans s’échauffer et se laissa bercer par les litanies des lettres qui formaient une houle au large. Un albatros aux ailes arquées s’en saisit, ne laissant qu’une écume blanche sur la page. Anne Fabregoul

Avant la messe, le curé avait pour habitude de s’échauffer en récitant des litanies. La seule fois où il dérogea à cette règle, il se fit une entorse. Valentin Kaufmann

Avec « Pourquoi » et « Transparente« 

Une silhouette transparente passa au bout d’un abyssal couloir. Forme erratique, malaisante. Les clichés furent pris automatiquement et seul un voile clair apparut sur les portraits d’arrière-arrière grands-parents disparus depuis une éternité. Pourquoi faut-il toujours qu’ils soient rivés à d’interminables bâtisses ? Nico Ca

Nos enfants ne voulaient pas nous décevoir. Ils ouvraient chaque année leurs cadeaux de Noel, enthousiastes. Et quand on leur annonça, que le Père Noel n’existait pas, ils nous serrèrent dans leur bras, en nous demandant si nous n’étions pas trop déçus. Namir Abdel Messeeh

La mission d’Edward G. Burton III était limpide, transparente. Il voulait sauver l’humanité. Mais pourquoi devrais-je sauver tout le monde ? Déclara-t-il depuis sa station orbitale, une poignée d’individus triés sur le tard est suffisante pour atteindre cet objectif. Valentin Kaufmann

On lisait en elle comme dans un livre ouvert. Mais comme la transparence de ses émotions ne laissait rien voir que de très trouble, elle referma son cœur et le rangea dans sa bibliothèque, dans l’attente d’un lecteur érudit qui sache le déchiffrer. Nathalie Richard

La vie ne voulait pas le quitter. Elle épousa la vision qu’il avait d’elle, pour satisfaire son désir le plus profond, et éviter la séparation. De lumière transparente, elle se transforma donc en boulet au pied. Et allez savoir pourquoi, il mourut noyé dans son bain. Namir Abdel Messeeh

Frank vivait dans ce bidonville depuis toujours. Cependant il était comme on dirait transparent aux yeux de tous, personne ne le connaissait ou n’avait un jour entendu parler de lui et il s’y plaisait dans cette amnésie collective et faisait tout pour y rester. Voilà pourquoi de sa petite demeure en quatre planches rabotées bâtie six pieds sous terre, il n’en sortait jamais. James Dylan Duran

Elle était devenue transparente aux yeux d’autrui. Sa discrétion l’avait gommée des cercles amicaux. Restait son papier et sa plume, elle y avait trouvé du plaisir, fuir ce monde qui l’avait ignorée n’était pas si désagréable. Pourquoi s’en serait elle privée ? Betty Pons

Elle avait beau scruter, l’eau ne lui renvoyait pas son reflet. Pourquoi ? Je ne suis pourtant pas transparente, soupira-t-elle. Du bout des doigts elle effleura l’onde, déformant par d’involontaires ondulations l’image de ce qui avait la chance de s’y refléter. Quelle tristesse d’être un vampire… Stéphanie Virollet

L’éboueur en avait assez de se salir les mains. Il changea de métier. Se transforma en égoutier, il se souilla ses pieds au fond des canalisations. Pourquoi toujours devoir se maculer en travaillant ? Alors il devint peintre et esquissa des corps à la chair transparente. Anne Fabregoul

280 CARACTERES

A partir de Lycéenne et Inaudible

Elle avait espéré que quelqu’un comprendrait : la chute de ses notes, sa perte de poids, les cernes sous ses yeux. Mais le monde était resté sourd, à croire sa détresse inaudible. Et quand le cercueil se referme sur la lycéenne libérée, sa voix s’entend enfin. Stéphanie Virollet

Avec « Couleur » et « Rendez-vous« 

Elle avait choisi, pour son rendez-vous, une tenue aux couleurs de l’automne. Elle se rendit au parc et y choisit un banc discret, à l’abri des regards, au plus près des feuillages. Elle attendit des heures. Elle patienta des jours et des semaines sur son banc, camouflée. Mais personne ne la vit. Elle finit par y prendre racine et se fondit dans le parc, aux couleurs de l’automne. Nathalie Richard

Je ne pensais m’inscrire sur un site de rencontre, mais dans mon grand cœur tout gris, j’étais tout aussi persuadée que celui qui ne tentait rien n’obtiendra rien. J’étais décidée à trouver la couleur idéale, celle qui chamboulerait mon cœur en un seul rendez-vous. Charline Steiner

Elle avait choisi de porter du rouge. Couleur de l’amour pour un rendez-vous. Elle avait pris le métro, puis le train. Le gris du ciel ,sur elle, n’avait pas déteint. Elle avait poussé les énormes portes. C’est là que le noir l’emporte en une étreinte. Béatrice Brunclair

Sitôt assis, je comprends que notre rendez-vous ne me laissera pas un souvenir impérissable. Sa posture et la touffe de poils dépassant de sa chemise entrouverte annoncent la couleur : misère, que les 10 prochaines minutes vont me paraitre longues. Foutu Speed-Dating ! Stéphanie Virollet

Une fois par semaine, Mamie prenait rendez-vous avec un taxi différent. Elle lui demandait de choisir la destination. Voyage et rencontre donnaient un peu de couleurs à sa vie. En décembre, elle oublia de payer sa facture de téléphone. Elle mourut d’ennui en écoutant le bip-bip de sa ligne en dérangement. Christine Sales Bourrelly

La panthère dépérit, nulle autre distraction que ses allers-retours le long des barreaux couleur de prison ! Dans son regard doré monte la nostalgie de l’Afrique natale. C’est l’heure de son rendez-vous avec les visiteurs. En guise d’hommage, le panache de sa queue dressée ! Betty Pons

Avec « Promesse » et « Superette« 

Il vint au monde à l’arrière d’une supérette miteuse. Il grandit tristement, sans autre promesse que d’aligner des boites de conserves toute sa vie. Ses yeux, sa bouche, ses joues pendaient lamentablement. Un soir, il les remonta, et il devint le clown le plus drôle de tous les temps. Françoise Canque

Avec « Soupçonner » et « Compagnie« 

Personne pour venir soupçonner ce brave animal de compagnie d’un crime aussi odieux. Il est vrai que le félin, prudent, s’était appliqué à effacer toute trace de son méfait par une toilette minutieuse. Trois jours qu’on était sans nouvelle du hamster… Stéphanie Virollet

Ne jamais soupçonner son mari de trahison sans preuves tangibles !

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– Penses-tu pouvoir accepter cette règle ?

– Non, je détiens ces preuves, il m’a faussé compagnie dès qu’une autre lui a fait les yeux doux.

– Et alors ?

– Je l’ai un tout petit peu tué, mais à peine !

Betty Pons

Le café posé sur la table, le serveur se pencha vers la femme

« Prendrez-vous du lait, Madame ?

– un soupçon »

L’homme blêmit et se redressa avant de lui fausser compagnie. La femme le regarda partir, complètement hébétée. Elle en savait trop. Tout ces gens, comment savaient-ils ? Thomas Costes

LA CONCISION

Avec « Célébrité » et « Tremblotants« 

Paul abandonna ses enfants pour une carrière d’acteur, qui n’offrit que de vagues succès tremblotants. Recalé pour le rôle de ses rêves, il assassina le couple de célébrités retenu pour le film, et finit en prison. Une nouvelle carrière commença alors pour lui. Namir Abdel Messseh

Les doigts tremblotants, frigorifiée dans sa robe-tablier malgré le soleil d’hiver qui dardait ses rayons argentés sur le Baou, Jeanne trempait pour la vingtième fois le linge dans l’eau glacée du lavoir de Saint-Jeannet. Elle ignorait encore que la célébrité de la mère Denis volerait la vedette au lave-linge. Françoise Canque

Avec « Bottes » et « Tempérament« 

– Lorsque j’enfile ces bottes, une sorte de magie se met à opérer : elles ont le pouvoir de changer mon tempérament du tout au tout.

– Es-tu sûre que tu devrais les porter pour ce rendez-vous avec le Big Boss ? Sauras-tu maîtriser ce changement ?

– Justement. Là, c’est lui qui va réagir. Ce sont les siennes.

Laure Bergeron

C’est la crise de logements, des sans domiciles pullulent. Un père de famille au tempérament calme demande des bottes de foin sec à un fermier.

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— J’imagine qu’elles vont vous servir d’abris. N’avez-vous pas peur d’avoir froid ?

— S’immoler par le feu ne cause jamais froid.

Krys Auteure

J’enfile mes bottes préférées. J’ai toujours adoré les chaussures. Jusqu’au jour où j’ai perdu une jambe dans un accident. Mon tempérament a changé. Dépression, drogue. Puis j’ai rencontré Paul, il est mon Dieu, je l’aime. Il est chirurgien orthopédiste, spécialiste en prothèses. Caroline Suchodolski

– J’ai le tempérament d’une grande sportive. Je prépare un marathon.

– Et tu penses que les bottes sont les chaussures les plus adaptées ?

– Bien sûr, la course s’appelle « sur les traces des cagouilles ».

Scarlett Linetti

Prolonger l’exercice

Afin de prolonger cet exercice de concision, de le réaliser chaque fois que vous en avez l’occasion à partir de vos idées pour écrire des histoires.

Extrayez-en la sève et faites-les tenir en trois ou quatre phrases. Voyez de quelle manière cette extrême simplification vous ouvre des horizons insoupçonnés.

Amusez-vous.

ECOLE D'ECRITURE
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