Technique narrative : Délivrer la philosophie du héros

Cette série de billets n’a pas d’autre ambition que d’illustrer par l’exemple des techniques narratives éprouvées.

Citation La Religion

Troisième et dernier billet à propos de La Religion, de Tim Willocks, dont je vous parlais déjà ici (écrire une scène de combat) et ici (Héros Vs Fatalité), ce roman, qui met en scène un héros tout à fait classique selon le canon d’Hollywood, m’ayant décidément apporté beaucoup de grain à moudre.

Le canon d’Hollywood ? Je fais référence au postulat développé par Joseph Campbell dans son célèbre essai, The Hero with a Thousand Faces. Selon Campbell, qui s’appuie sur sa propre étude de mythologie comparée, le héros de fiction, de quelque origine culturelle qu’il provienne, obéit à un schéma narratif archétypique. C’est la théorie du monomythe. Une structure fondamentale identique sous-tendrait les principaux mythes de l’humanité.

Campbell passe sous le tapis tout ce qui ne concorde pas avec l’idée qu’il se fait du héros et impose son propre cadre de référence, fortement ethnocentré, à l’opposé d’une démarche scientifique digne de ce nom. Ethnologues, universitaires et de nombreux romanciers soulignent de vagues allégations non étayées, un manque de rigueur préjudiciable à la crédibilité de Campbell.

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Cependant, The Heroe’s Journey fait un tabac auprès des studios et les scénaristes s’en emparent comme d’une bible. En effet, s’il est abusif de parler de « monomythe », force est de constater que la structure proposés par Campbell (« Un héros s’aventure à quitter le monde du quotidien pour un territoire aux prodiges surnaturels : il y rencontre des forces fabuleuses et y remporte une victoire décisive. Le héros revient de cette mystérieuse aventure avec la faculté de conférer des pouvoirs à ses proches. »), bien utilisée, permet de produire des récits au souffle puissant.

Ceci rappelé, revenons à Tannhauser. Tim Willocks applique la recette Campbell avec brio.

Mais comment rendre le héros mythologique proche du lecteur ?

Tannhauser est un mercenaire sans scrupule, tueur chevronné et traitre à ses heures. Un vilain coco, indubitablement de stature mythologique.

J’ai déjà évoqué la fatalité qui s’abat en permanence sur ses épaules heureusement solides, et ses faiblesses très humaines.

Reste à le doter d’une morale, ou du moins d’une philosophie, que le lecteur peut faire sienne.

Attention à ne surtout pas écrire « la philosophie de Tannhauser était que… » , comme je le lis parfois dans des premiers jets. Pour éviter de barber le lecteur, mettons plutôt dans sa bouche les mots qui vont bien au détour d’une conversation pleine de sens et, si possible, d’enjeu.

Tannhauser propose à la dame de son cœur de s’échapper du piège en train de se refermer, mais celle-ci ne veut pas quitter le Fort Saint-Jean assiégé par les Ottomans, déterminée à faire le sacrifice de sa vie. Elle a trouvé un refuge dans la religion, sa juste place dans le monde, s’est vouée au soin des blessés et à l’accompagnement des soldats au seuil de la mort.

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C’est alors que la philosophie du héros nous est livrée, en même temps que son amertume.

Extrait :

citation Willocks

Faire comprendre la « vérité » du héros

Héros désabusé, il tente de trouver un chemin dans une époque hostile. Il exprime à sa manière l’inutilité de toutes les guerres et raille la fatuité des puissants.

Une vérité à laquelle le lecteur ne peut qu’adhérer. Bien plus que le sentiment amoureux qui le lie à sa dame, c’est l’expression de son aspiration à trouver enfin la paix qui le rend sympathique. On en viendrait presque à le plaindre. A tout le moins on le comprend, on partage quelque chose de fondamental avec lui. On peut entrer en empathie.

Ami auteur, amie autrice, si vous ambitionnez de donner la vie à un héros mythologique à la sauce Campbell et de lui faire commettre des atrocités sans aucuns scrupules, n’oubliez pas de le rendre vulnérable et humain, de donner au lecteur la possibilité de comprendre que ce qui l’anime profondément n’est pas que la recherche de pouvoir ou de richesse (car la richesse apporte le pouvoir).

Une philosophie profonde, mais accessible à tous les cœurs, alliée à la fatalité, à une faiblesse et à des qualités peut-être discutables (est-ce que savoir tuer est vraiment une qualité ?), lui conféreront une dimension mythologique.

Peut-être cela vous sera-t-il utile.

Là-dessus, je vous souhaite la meilleure journée possible.

A la prochaine.

Exercice :

  • Répondez à cette question pour chacun de vos personnages : A quoi aspire-t-il au plus fond de lui ?
  • Comment cela peut-il influer sur l’histoire que vous racontez, vous aider à dégager une cohérence du personnage ?

À toi.

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