Technique narrative : insérer des flash-back et retomber sur ses pattes.
Cette série de billets n’a pas d’autre ambition que d’illustrer par l’exemple des techniques narratives éprouvées. Mais d’abord, commencez par écouter la lecture du passage tout entier, pour vous mettre dans le bain.
Un bon moyen de délivrer des informations au lecteur sur le passé du personnage, autrement dit de lui donner de l’épaisseur tout en contextualisant le récit, c’est d’évoquer les pensées dudit perso, alors qu’il se souvient d’épisodes marquants (pour lui) et susceptible d’éclairer le récit (pour le lecteur).
En revanche, suspendre l’action pour plonger dans le passé ne doit pas être un recours automatique, sous peine de lasser le lecteur. Un pas en avant, deux pas en arrière, elle est plus que ralentie, presque stagnante. Il faut donc user du flash-back avec parcimonie et avoir de bonnes raisons pour y recourir.
Pour éviter l’endormissement du lecteur durant ledit retour en arrière, on peut continuer de montrer d’une certaine manière le personnage en action, puisque la très grande majorité des êtres humains peuvent penser à une chose ou plusieurs, en même temps qu’ils en accomplissent une ou des autres.
D’ailleurs, beaucoup de gens s’en plaignent. L’esprit ne nous laisse pas tranquilles. Se focaliser uniquement sur l’instant présent requiert un apprentissage ou à tout le moins une bonne capacité de concentration.
Je digresse et je vous ai peut-être perdu en route. Ce que je veux dire, c’est que le pire flash-back que vous pouvez écrire, c’est un personnage qui s’assied pour réfléchir et penser à son passé. Je lis cette ficelle chez beaucoup de débutants. Hélas, elle est la plus grosse et la plus inadaptée qu’il se puisse utiliser.
Elle ne correspond pas à la réalité de ce que nous vivons. On ne s’assied pas pour réfléchir. Ou alors c’est qu’on projette quelque chose et on s’installe avec un papier et un crayon pour établir une liste ou réaliser un petit crobar… Mais réfléchir au passé, non, définitivement non !
C’est pendant que nous accomplissons des gestes quotidiens, que nous faisons nos courses ou que nous baladons notre chien (le mouvement du corps procure une grande disponibilité à l’esprit) que nous viennent nos ruminations les plus profondes et les plus abouties.
Alors comment faire ?
Voyons un exemple.
Intégrer un flash-back dans l’action
Dans son roman « Debout-payé », Gauz profite du trajet quotidien de Ferdinand pour laisser dériver ses pensées et apprendre au lecteur ce qu’il a besoin de savoir.
Le chapitre intitulé « L’âge de bronze : 1960 – 1980 » s’ouvre ainsi :
« En descendant le boulevard Vincent Auriol en direction de la Seine, Ferdinand se disait qu’il en avait vraiment marre de ces hypocrites de « réunionnais ». C’est comme ça qu’il avait fini par surnommer les étudiants de la résidence. Ils convoquaient toujours des réunions à propos de tout et au sujet de n’importe quoi. »
Extrait de Debout-payé
Penser à ce qui nous tracasse en marchant, quoi de plus naturel ? Qui n’a pas déjà laissé son esprit dériver en accomplissant un trajet familier ? Qui n’est jamais sorti marcher pour s’éclaircir les idées ?
Puis Gauz nous décrit les étudiants en question et les querelles qui les occupent. Enfin il revient vers Ferdinand lui-même et plonge dans le passé pour éclairer sa situation actuelle. La transition est sans bavure.
« Ferdinand n’était pas étudiant. Il ne l’avait jamais été. Mais il vivait à la MECI, la Maison des Étudiants de Côte d’Ivoire à Paris. Il avait, en quelque sorte, hérité de la chambre de son cousin André, rentré au pays quelques mois auparavant, son diplôme de docteur en médecine dans les valises. »
Gauz
Exemple : Les souvenirs de Ferdinand
Ensuite viennent six pages de souvenirs, où l’on apprend tout d’André et de sa relation avec Ferdinand, mais aussi de la crise politique en Côte d’Ivoire et de la folie du président Houphouët-Boigny, de la tante de Ferdinand qui est retournée au pays, et enfin des changements intervenus depuis que Ferdinand occupe sa chambre à la MECI.
Six pages, c’est une longue digression. Le lecteur aurait de quoi déconnecter, et oublier où se trouve Ferdinand.
Habilement, Gauz s’assure qu’il n’en est rien.
Le boulevard Vincent Auriol
« Au bas du boulevard Vincent Auriol, l’immense hôpital de la Pitié-Salpêtrière se trouvait sur sa gauche. Ferdinand admirait le courage qu’il avait fallu à son cousin André pour alterner entre la garde des malades et la garde des Moulins. Il marchait lentement en se disant qu’il avait beaucoup de chance de ne pas être obligé de prendre le métro pour aller au turbin. »
Et le tour est joué.
Gauz clôture avec élégance en ramenant le lecteur à l’endroit d’où il l’a tiré, sur le boulevard Vincent Auriol.
L’histoire peut reprendre, le lecteur de nouveau dans les pas de Ferdinand.
En marchant, mais pas seulement
Ici, Gauz utilise le trajet quotidien avec beaucoup de naturel.
Mais il est aussi possible de montrer le personnage prenant sa douche, faisant ses courses, tondant sa pelouse…
Toutes les activités à tendance routinière s’adaptent merveilleusement au flash-back.
Ne vous en privez pas.
Exercice :
- Extrayez un flash-back d’un de vos textes, et mettez le personnage en mouvement pendant qu’il se remémore le passé.
À vous de jouer.