L’écriture collective, le Renga et l’OULIPO

Je vous ai annoncé de brefs billets techniques et je compte bien les reprendre. Cependant, je me suis aperçue que Jérôme, pour qui j’avais écrit un long article sur l’écriture collective, l’a supprimé purement et simplement, sans m’en informer. J’ai donc décidé de publier ici ce texte qui a nécessité quelques heures de travail et qui tombe pile-poil au moment où je viens de lancer un appel à participation pour notre hyper-recueil de nouvelles dont le principe m’a été soufflé par l’OULIPO.

Ceci étant dit, entrons dans le vif du sujet.

Ecrire collectivement. Qui ? Pourquoi ?

A propos d’entrer… l’écriture est un formidable moyen d’entrer en soi-même. Que vous la pratiquiez assidument dans l’objectif d’écrire et de publier un roman ou que vous l’utilisiez de façon occasionnelle pour une salutaire exploration de ce qui vous anime, elle sera toujours un outil de connaissance de soi de première efficacité.

Pratique solitaire par excellence, elle peut se révéler également une porte ouverte vers une collaboration ludique et joyeuse, sans pour autant perdre de son intérêt en tant que technique introspective.

On parle alors d’écriture collective, aussi appelée écriture collaborative, ou encore écriture participative.

Dans les salles de classe

Largement utilisée par les enseignants, en particulier dans les matières littéraires, l’écriture collective présente de nombreux avantages pédagogiques, tels que :

  • Affirmer sa créativité en respectant celle des autres
  • Développer l’écoute, le discernement et la confiance (en soi et en le groupe)
  • Exprimer la singularité de son point de vue personnel

L’enjeu principal étant d’apprendre à collaborer pour un résultat final commun dont on puisse être fier. Pour les enseignants, ces ateliers permettent de faire passer les notions essentielles à l’écriture d’un récit, construction d’un plan, longueur des phrases, choix des mots, point de vue de la narration…

Les salles de classes ne sont cependant pas les seuls lieux où se joue le collectif écrivant, loin de là.

Au cinéma, à la télévision, au théâtre

Vous avez certainement déjà vu des images de ces salles de réunion où œuvre, autour d’une grande table, une petite armée de scénaristes occupés à produire la prochaine saison de votre série favorite. A la télévision et au cinéma, l’écriture collective est de plus en plus souvent la règle.

Au théâtre aussi, il n’est pas rare de construire une pièce structurée à partir d’exercices collectifs d’improvisation sur un thème donné. Certaines compagnies fonctionnent même sur le mode du collectif à tous les niveaux. Tout le monde “fait tout”, administration comprise, avec pour principe fondateur que “le tout est supérieur à la somme des parties”.

En littérature, c’est beaucoup plus rare. Cela existe cependant.

En littérature aussi

Il existe “sur le marché” différentes propositions d’écriture participative ayant connu le succès. En voici quelques-unes.

Un texte à 4 mains

Bustos Domecq est un personnage issu de l’imagination de Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares, deux écrivains argentins.

Les deux auteurs expliquent comment, une fois le récit achevé, ils sont incapables de dire qui a fait quoi et comment le résultat produit est différent de ce qu’ils publient chacun de leur côté. Ils ont mis au point, au fil des années, un processus de travail qui fonctionne merveilleusement bien.

Un roman jeunesse à 13 voix

Initiative notable, “Si on chantait” est un roman jeunesse écrit par treize auteurs ayant produit chacun un chapitre de l’histoire. Les treize ont pris la plume à tour de rôle, dans l’ordre, à partir d’un synopsis. Chacun a donc travaillé “dans son coin” pour apporter sa pierre au projet collectif. Ce livre est vendu au profit du Secours Populaire.

Un personnage et 291 auteurs

Enfin, impossible de ne pas évoquer la collection “Le Poulpe”, qui comprend 291 romans policiers dont le personnage principal, Gabriel Lecouvreur, détective, est chaque fois mis en scène par un nouvel écrivain.

Initié par Jean-Bernard Pouy en 1995, “Le Poulpe” est un succès absolu qui a donné lieu à des adaptations cinématographiques, des BD, des parodies et même, a inspiré un titre punk du groupe Zampano… et la vente d’objets dérivés, ce qui n’est pas si fréquent en littérature, en dehors de la BD.

Chaque écrivain qui s’empare du personnage est libre, dans le respect d’un cahier des charges, d’en faire ce qu’il veut et de lui faire vivre des aventures à sa manière.

20 ans du poulpe

J’aimerais maintenant aborder l’écriture collective selon trois aspects :

  • L’écriture en atelier
  • L’Oulipo et ses apports collectifs à l’écriture contemporaine
  • Le Renga, ou l’art du poème collectif japonais
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L’écriture en atelier

Un écrivain débutant est souvent mal assuré, voire, parfois, mal entouré. Il est difficile de trouver un alter-ego en écriture ou des bétalecteurs à même de produire une critique constructive. Avoir recours à des pairs en écriture est une solution qui a fait ses preuves. Mais où les trouver ?

En atelier, bien sûr.

Aujourd’hui, où des ateliers existent en ligne, il est fréquent de voir des collectifs d’auteurs s’essayant à partager l’écriture d’un poème, d’une nouvelle, plus rarement d’un roman. L’atelier est une tradition artistique de longue date, dont les gens de théâtre et les peintres connaissent bien les bénéfices. Les écrivains auraient tort de s’en priver.

Les “creative writing workshop” existent depuis les années 20 aux Etats-Unis. Des “pointures” comme Raymond Carver ou Lorrie Moore en sont issus. En France, c’est Anne Roche, professeur à l’Université d’Aix-en-Provence, qui semble avoir été la première à proposer à ses étudiants un atelier d’écriture, vers la fin des années 70.

Un atelier classique réunit au maximum une douzaine d’apprentis écrivains sous la houlette bienveillante et éveillée d’un animateur. Certains, les plus accros, se réunissent une fois par semaine, d’autres une fois par mois. Parfois au domicile de l’animateur, souvent en médiathèque, ou dans tout autre lieu permettant un relatif isolement du groupe.

Il existe aussi des séminaires d’écriture, la plupart du temps réservés à des écrivains aguerris, durant lesquels le groupe s’enferme pour plusieurs jours avec un objectif commun, celui de faire avancer les projets d’écriture de chacun.

Le déroulement classique d’un atelier

Un atelier classique dure environ deux heures et se déroule, au choix, selon deux schémas. Dans le premier il est question d’aider une écriture individuelle à trouver une voix, une forme et un rythme originaux (mais intelligible). Dans le second il s’agit de produire un texte commun.

Schéma 1

  • Proposition faite par l’animateur
  • Entre 20 et 30 minutes de travail personnel de chacun
  • Lecture (sur photocopie ou à haute voix, à vous de voir) et discussion des textes
  • Reprise et réécriture en fonction des échanges, autant de fois que nécessaire

Schéma 2

  • Proposition faite par l’animateur
  • Entre 20 et 30 minutes de travail personnel de chacun
  • Lecture et mise en commun
  • Discussion
  • Sélection et choix des idées à intégrer et à développer
  • Réécriture en commun (autant de fois que nécessaire)

Comment choisir son atelier

Une large palette est disponible, dans laquelle il est préférable d’apprendre à se repérer.

Alain André, fondateur en 1985 de Aleph-écriture, les a triés en quatre grands courants :

  • Formaliste, à la suite de Jean Ricardou, théoricien du nouveau roman et inventeur d’une “science de l’écriture”, la textique. (si, si !)
  • Pédagogique, avec le groupe de l’Université d’Aix-en-Provence et le GFEN
  • Ludique, avec le CICLOP
  • Littéraire

Pour info et en toute humilité, l’Atelier de Fiction situe ses activités dans cette dernière catégorie, tout en se permettant des incursions ludiques.

Alain André nous dit :

La position de ces différents organismes les distingue avec netteté. Les ateliers universitaires produisent beaucoup (…) de théorie. Les ateliers pédagogiques se soucient surtout des pratiques d’écriture en classe. Les ateliers ludiques favorisent le jeu et la rencontre (…) . Les ateliers littéraires, centrés sur l’émergence de textes et de projets, sont les seuls à proposer la palette d’activités que requièrent les apprentissages de personnes envisageant, qui sait, de publier un jour.”

Si cela est votre cas, renseignez-vous avant de vous inscrire, histoire de ne pas vous retrouver à côté de la plaque.

La compétence de l’animateur est essentielle, afin de favoriser la progression des apprentis. Animer un atelier d’écriture ne s’improvise pas, n’hésitez pas à poser des questions, soyez curieux de son pedigree et demandez une ou deux séances d’essai avant de vous inscrire pour une année. Les organismes sérieux proposent des entretiens gratuits, centrés sur le conseil et l’orientation, et organisent des journées de découverte.

A propos de Alain André et Aleph-écriture, je vous recommande de lire la chronique que j’ai écrite pour le blog d’Olivier Roland “Des livres pour changer de vie”, qui résume les enseignements de son best-seller “Devenir écrivain”.

oulipo


L’Oulipo, Ouvroir de Littérature Potentielle

Tout d’abord nommé Séminaire de Littérature Expérimentale (Sélitex), l’Ouvroir de Littérature Potentielle (l’Oulipo) a vu le jour en 1960. La charte en a été d’emblée fixée ainsi par Raymond Queneau :

« Nous appelons littérature potentielle la recherche de formes, de structures nouvelles et qui pourront être utilisées par les écrivains de la façon qui leur plaira ».

Un groupe se réunit alors, dont les membres ont la particularité d’être des écrivains attirés par les mathématiques, ou inversement, des mathématiciens attirés par la littérature.  D’emblée, l’Ouvroir refuse l’étiquette de “mouvement littéraire”, prenant ainsi ses distances avec les pseudos “avant-gardes” littéraires, ainsi qu’avec la littérature aléatoire.

Tout le projet de l’Ouvroir, c’est-à-dire, comme son nom l’indique, l’exploration des potentialités de la littérature et de la langue, se fonde sur l’utilisation de la contrainte.

Il s’articule autour de deux axes :

  • L’invention de contraintes nouvelles pour la production d’œuvres originales
  • La dissection des œuvres littéraires existantes et la mise en évidence de l’utilisation des contraintes dans leur structure.

De nombreux poètes et écrivains, issus d’horizons divers, ont rejoint l’Oulipo au cours des années. L’Oulipo à publié collectivement, à de multiples reprises et chez divers éditeurs : Gallimard, Larousse, le Seuil, le Castor Astral, les Mille et une nuits.

Plus de 220 fascicules de la Bibliothèque oulipienne ont également été publiés, individuellement ou collectivement. On trouve par ailleurs de nombreux travaux universitaires, français ou étrangers, sur le groupe, ainsi que des traductions.

A la Bibliothèque Nationale se tiennent des séances mensuelles de lecture oulipienne dans le Grand Auditorium, Les Jeudis de l’Oulipo.

Nombre d’exercices “oulipiens” se retrouvent dans les ateliers d’écriture ainsi que dans les manuels scolaires, tout niveaux confondus.

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Les contraintes mathématiques pour surprendre la langue… et l’oreille.

A partir des mathématiques, les oulipiens ont produits des règles de jeu on ne peut plus originales et rigolotes. on s’y essaie en groupe ou solitaire.

Par exemple, la contrainte de la Haï-Kaïsation consiste à tendre vers le Haï-ku sans jamais le copier. Il s’agit, à partir de textes existants, de conserver uniquement les fins de vers, afin d’obtenir des rimes très brèves.

J’ai fait cet exercice à partir du célébrissime poème de Paul Eluard « Ma morte vivante ». J’obtiens :

Mouvement

ne viendra

de nuit

moi-même

de tes yeux

leur lumière

ta bouche

plaisir

de la vie

de tes mains

échapper

tes pieds

routes

repos

ma vie finir

tienne

ton pouvoir

infini

tombeau

indifférent

des autres.

Ou encore, à partir de « Un dahlia », tiré des Poèmes saturniens de Paul Verlaine (un autre Paul)

Et brun

un bœuf

neuf

aucun

corps

accords

qu’au moins

les foins

l’encens

splendeur

odeur

agaçant !

Pas mal, non ? La surprise est au bout du… champ. Moi j’adore.

Les contraintes explorées par l’Oulipo sont nombreuses. Tout le monde connaît l’acrostiche, l’alexandrin ou l’anagramme, mais avez-vous déjà entendu parler de “L’arbre à théâtre”, de “La contrainte du prisonnier” de la “Petite morale élémentaire portative” ou encore de la “Rime berrychonne” ? Rien que le nom, c’est déjà un voyage en soi.

Je vous encourage à expérimenter en vous rendant sur le site officiel de l’Oulipo.

Les poèmes dont vous êtes le héros

Plus étonnant encore. Peut-être savez-vous que Raymond Queneau, encore lui, inventa le principe du récit interactif, qui donnera plus tard les livres-jeux dont vous êtes… le héros. Son poème s’intitule “Conte à votre façon”.

Voici le conte en question :

Conte queneau p1
Conte a votre facon
suite et fin queneau

Roman et méta-roman

De nombreux auteurs oulipiens ont été couronnés par des prix prestigieux. Parmi les oulipiens célèbres, on compte Georges Perec et Italo Calvino, que j’affectionne particulièrement.

La Disparition”, de Georges Perec, est un roman écrit sous la forme de lipogramme, sans la lettre e. A contrario la seule voyelle admise est le e dans “Les Revenentes”. Quant à “La Vie mode d’emploi”, prix Médicis 1978, c’est un puzzle d’histoires imbriquées selon une combinatoire précise.

A propos de Georges Perec, je donne un exemple de son travail dans mon article 7 études de cas pour une description de lieu.

Dans “Si par une nuit d’hiver un voyageur”, Italo Calvino offre sa propre version du roman fragmenté, dans une mise en abyme à la deuxième personne du singulier, puisque le personnage est… le lecteur lui-même.

Les expériences ludiques menées sur la langue et sur la structure du texte par les oulipiens au fil des années ont fait des émules et impulsé nombre d’ouvrages, individuels ou collectifs.

C’est peut-être à votre tour de vous y essayer. Qu’en dites-vous ?


Une forme poétique collective : le Renga (ou renku)

Le Renga, qu’est-ce que c’est ?

“Renga” (ou renku) signifie littéralement “poème lié”.

Issu du Japon où il se développa entre le VIIIe et le XVe siècle, le renga est une forme poétique collective. Il est à noter que le VIIIe siècle marque le début de la tradition poétique japonaise telle qu’on l’étudie aujourd’hui, on peut donc dire que le renga est un art très ancien.

Pour écrire un renga, il faut plusieurs personnes (deux ou plus) écrivant l’une après l’autre. La première écrira cinq vers en deux strophes, respectivement de 5-7-5 puis 7-7 syllabes, soit 31 syllabes au total.

La personne suivante s’inspirera de la strophe écrite par le premier poète pour écrire la suite. Il ne s’agit pas d’écrire sur le même thème mais plutôt de filer une pensée collective, par associations d’idées, à la manière d’un dialogue naturel.

Yoneyama Masaru explique cela en ces termes :

Il n’y a pas d’ordre ou d’unité invariable de sujet ou de teneur, pas plus qu’il n’y a de pensée suivie, d’humeur ou d’affectivité constante. Un des principes fondamentaux du renku est d’éviter d’aller en direction d’un sujet unique tout en changeant de sujet de verset en verset. Chaque verset est la production d’une personne. Chaque personne utilise un des éléments du verset écrit par son prédécesseur pour créer à son tour son propre verset. Ce dernier, qui sera bien sûr ajouté à celui d’avant servira alors d’inspiration à une autre personne pour la création du verset suivant et ainsi de suite … On s’affirme en respectant la position des autres.

La première strophe de la chaîne du renga, le hokku, de 5-7-5 syllabes, est l’ancêtre des modernes haïku, dans lesquels le poète tente de saisir l’instant présent en trois lignes.

L’écriture collaborative, une pratique japonaise ancienne

La pratique du renga remonte à une vieille tradition chez les poètes japonais : la composition collaborative, permettant une émulation créative et donnant lieu à des exercices de style parfois surprenant.

Dans une tradition ancienne, les poètes s’affrontaient en compétition. La compétition se déroulait ainsi : un thème était donné et les poètes composaient sous le regard de juges.

Le renga classique

Dans sa forme classique, le « renga court » était un bref dialogue, dans lequel l’interlocuteur devait compléter le vers énoncé par le premier protagoniste. Il s’agissait d’une construction de 5-7-5 ou de 7-7 syllabes. Cette forme peut se déployer en chaîne d’une centaine de vers, on parle alors de “renga long”.

Certains renga, composés en groupe à l’occasion de sessions pouvant durer plusieurs jours, peuvent même atteindre les 10.000 vers.

D’après, Patrick Simon, de la Revue du Tanka francophone :

«Les règles spécifiques du Renga classique sont les suivantes : Seule la première pièce (vers) doit être autonome (en sens). Le deuxième ne peut pas être autonome. Il doit contenir un mot de la même « saison » que le premier. Le troisième doit changer la scène. Autour du cinquième, on doit faire référence à la lune. Une référence à l’amour doit se trouver entre le 17ème et le 19ème vers.

Le Renga est comparable a un voyage, on voit devant et derrière soi mais le paysage change à tout moment. Les saisons ne doivent pas tourner en sens inverse. On ne peut réutiliser les mêmes thèmes. Un mot ne peut être utilisé deux fois. Si on évoque le printemps et l’automne, il doit persister entre trois et cinq vers. L’été et l’hiver, de un à trois. Les insectes ne doivent être mentionnés qu’une seule fois au plus. Un vers est seulement en relation avec ses voisins immédiats.»

Exemple de Renga (début)

Cité par Yoneyama Masaru dans son long article au sujet du Renga et traduit par René Sieffert, « Dans la rue » est un Renga de 36 strophes qui commence ainsi :

dans la rue renga

Lire aussi à ce sujet mon article dont est tiré cette infographie : https://ecrire-de-la-fiction.com/renga-lecriture-participative-japonaise/

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Le renga moderne

Paru dans “la Blanche” prestigieuse collection de la maison Gallimard, “Renga” réunit sur un même projet (une même expérience) quatre poètes : le Mexicain Octavio Paz, l’Italien Eduardo Sanguinetti, l’Anglais Charles Tomlison et le Français Jacques Roubaud. Cela se passe en avril 69, à Paris.

Je cite le dossier de presse Gallimard :

“Le premier renga occidental vient de naitre. Le résultat est passionnant. La rencontre d’une vieille tradition littéraire orientale et de quatre poètes modernes, ayant en commun le goût des formes strictes, des jeux combinatoires, donne naissance à un grand poème moderne : quatre poètes, quatre langues européennes, une règle du jeu japonaise, et à la fin un seul texte, une seule voix à la quadruple résonance.”

Alain André nous fait une proposition d’écriture à partir du principe du renga. On y joue à deux minimum. Chacun sélectionne quelques incipit (il commence, en latin) dans sa bibliothèque, qu’on inscrit sur des petits papiers, qu’on plie. Tirage au sort. A partir de l’incipit tiré du chapeau, le premier écrit un paragraphe. Donner un temps, disons 15 minutes, et mettre un réveil à sonner. A la sonnerie, celui qui écrit s’arrête net, si possible, c’est encore mieux, au milieu d’une phrase. Le suivant s’empare de la prose, la lit avec soin et continue. Autant de fois que de participants. Lorsque le tour est terminé, le texte l’est aussi.

Voulez-vous essayer ?

Pour conclure

Vous en savez un peu plus maintenant sur la pratique de l’écriture collaborative. Que ce soit afin de produire un texte commun ou de permettre à chacun de se frotter à un groupe, l’expérimentation est bien souvent sa marque de fabrique.

Le point de départ du texte, fatalement, vient d’un individu. Comment faire autrement ? Mais, l’union faisant non seulement la force, mais aussi l’intelligence, les objets littéraires créés collectivement sont pleins d’heureuses surprises. L’écriture participative :

  • Ouvre la fenêtre et apporte un souffle d’air frais dans la pratique de l’écrivain, bien souvent seul face à son texte, avec un certain nombre de questions auxquelles il doit répondre en son âme et conscience.
  • Permet l’émergence d’un style nouveau, comme dans le cas du duo argentin formé par Jose luis Borges et Adolfo Bioy Casares.
  • Propose d’autres grilles de lecture du monde littéraire que celles communément admises, comme dans le cas des contraintes mathématiques développées au sein de l’Oulipo.
  • Répond à un cadre strict en allant puiser dans la perception des sensations, dans la spontanéité et la fraîcheur, dans l’acuité sensible développées par les poètes nippons, pour multiplier les points de vue, comme dans le Renga.

La pratique de l’écriture en atelier nous a donné Raymond Carver et bien d’autres, l’Oulipo a permis la production de romanciers (et de romans) hors du commun, le Renga a débouché sur la forme Haïku dont aujourd’hui presque tout le monde a entendu parler et que l’on pratique assidument en classe dès l’école élémentaire.

De votre côté, vous avez certainement déjà joué à « cadavre exquis », la forme d’écriture participative la plus simple. Mais si.

On écrit, chacun son tour, sur un petit papier, sans voir ce qui a été noté par la personne précédente. On replie ensuite le papier de façon à empêcher la personne suivante de découvrir nos quelques mots.

Au final, on ouvre et on lit : « Le cadavre exquis boira le vin nouveau », qui a donné son nom à ce jeu de société on ne peut plus facile à mettre en œuvre. Inventé par Jacques Prévert et quelques amis qui s’y adonnaient non seulement à partir de mots mais aussi de dessins, le cadavre exquis est un exemple d’écriture collective et aléatoire que tout le monde connaît.

Peut-être avez-vous, vous-même, déjà suivi un atelier, ou participez-vous à l’écriture d’un texte à plusieurs voix par l’intermédiaire de votre réseau social favori  ?

Je vous propose de partager en commentaire vos propres expériences collaboratives et de nous dire de quelle façon cela a impacté votre manière d’écrire, ainsi que d’intégrer le groupe Facebook l’Atelier de Fiction si ce n’est pas déjà fait.

Petite bibliographie d’urgence :

  • Devenir écrivain, Alain André et Nathalie Hegron
  • Les champs magnétiques, André Breton et Philippe Soupault.
  • La disparition, Georges Perec
  • Les revenentes, Georges Perec,
  • La vie mode d’emploi, Georges Perec,
  • Si par une nuit d’hiver un voyageur, Italo Calvino
  • Au petit matin, renga, Jacques Brault et Robert Melançon
  • Renga, co-écrit par Octavio Paz, Jacques Roubaud, Edouardo Sanguineti et Charles Tomlinson.
  • D’ambre et de fleurs, « Kohaku to hana to, renga », de Dominic Deschênes et Marie Sunahara
  • Lundi matin rêver de la mer, de Mike Montreuil et Luce Pelletier.
  • Mots de l’entre deux, de Martine Gonfalone-Modigliani et Patrick Simon
  • Poésie japonaise – Qu’est-ce que l’art du Haïku ? (France Culture, 1978)
  • Comment devient-on oulipien ?
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