Technique narrative : créer l’ambiance par l’utilisation de phrases courtes.

Cette série de billets n’a pas d’autre ambition que d’illustrer par l’exemple des techniques narratives éprouvées. Mais d’abord, commencez par écouter la lecture du passage tout entier, pour vous mettre dans le bain.

les phrases courtes : qu'apporte-t-elles au récit ?

Aujourd’hui, je fais suite à mon billet de l’autre jour au sujet des phrases longues, et je vous parle donc des phrases courtes.

Quel est l’intérêt d’une narration au moyen de très courtes phrases ? Pourquoi hacher le souffle du récit, celui du lecteur ?

Eh bien, encore une fois, tout dépend de ce dont vous parlez et de la couleur que vous voulez lui donner.

On a vu que Jean-Daniel Baltassat, pour exprimer la complexité du contexte et l’abondance, dans laquelle se dissimule un danger mortel, use de longues phrases contournées que le lecteur ne peut suivre que grâce à une concentration extrême – tout comme les personnages, qui doivent surveiller tous leurs faits et gestes, et jusqu’à leurs regards.

Céline Minard, dans Faillir être flingué, a choisi quant à elle de juxtaposer des phrases courtes.

Exemples : deux paragraphes construits à partir de phrases très brèves?

« Son état de femme sans peuple la faisait à la fois craindre et désirer. Son pouvoir ,depuis la mort violente des siens, avait décuplé. Elle voyait plus loin, elle soignait mieux, elle pouvait tuer sur trois points. De la destruction de son village et de ses fuyards les plus habilement cachés il y avait plusieurs versions. Dans certaines, son rôle ne comptait pas pour rien. Le feu, l’eau, la poudre et la foudre avait participé à la disparition totale de son clan. Et on disait que maintenant elle maîtrisait ses éléments mieux que personne. Il est vrai qu’elle tirait précisément et sans hésitation et qu’elle savait recharger toutes sortes d’armes y compris par la gueule à une vitesse considérable. »

Extrait de Faillir être flingué

« Lorsqu’elle sortit après avoir dormi et rêvé au creux de cette poche saturée de chaleur, elle était nue, ruisselante de sueur et lavée de sa volonté personnelle. Elle se baigna dans le ruisseau froid. Elle se laissa sécher par le vent. Elle se vêtit en prenant soin de disposer avantageusement ses parures. Puis elle marcha sur le village et, sans détour, sur la tente d’Orage Grondant dans laquelle elle entra en saluant. »

Idem

Lisez aussi mon article sur le rythme de la phrase pour compléter celui-ci.

En réalité, que nous dit Céline Minard ? 

Pourquoi ce choix narratif poussé à l’extrême ?

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« Elle », c’est Eau-qui-court-sur-la-plaine.

Elle est vue par les yeux d’un métis blanc/indien, Gifford, qui s’accroche à ses pas où qu’elle aille… elle voyage, à pieds, de tribu et tribu, pour apporter son aide dans les situations difficiles.

Gifford se tient toujours à distance respectueuse, car si elle accepte sa présence, c’est de loin.

Eau-qui-court… et Gifford ne parlent pas.

Elle fait ce qu’elle a à faire. Il suit.

Elle agit. Il observe.

Il prend des notes.

Seulement des phrases courtes : un choix narratif extrême

Gros plans sur le découpage des phrases

Minard écrit : «  Le feu, l’eau, la poudre et la foudre avait participé à la disparition totale de son clan. Et on disait que maintenant elle maîtrisait ses éléments mieux que personne. »

Un auteur moins déterminé, sinon moins expérimenté, aurait réuni ces deux phrases en une seule. Mais le choix opéré, le découpage en deux phrases met l’accent sur « la disparition totale de son clan ». Ce n’est pas un événement anodin.

« Elle se vêtit en prenant soin de disposer avantageusement ses parures. Puis elle marcha sur le village et, sans détour, sur la tente d’Orage Grondant dans laquelle elle entra en saluant. » Idem.

Ici, Minard nous montre par les yeux de Gifford une femme qui se prépare soigneusement. Le découpage met le focus sur un rituel qui s’accomplit. Chaque geste, appris et répété à de nombreuses reprises, est précis et chargé de sens. Loin d’accélérer le récit, comme on peut parfois le lire, la juxtaposition de deux courtes phrases là où une seule plus longue aurait suffi met l’accent sur la nécessité de poser chaque acte en temps et heure, sur le soin qui est pris pour disposer les parures.

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La preuve si nécessaire, lorsque cette préparation est achevée, Eau-qui-court-sur-la-plaine se met en marche et dans un seul mouvement, elle accomplit ce pour quoi elle s’est préparée.

La narration disparaît complètement, grâce au rythme de la phrase qui souligne le rythme de l’action.

C’est un exemple parfait d’adéquation du fond et de la forme. L’immersion dans le récit est complète.

technique narrative : courtes phrases
Cliquez sur l’image ci-desshttps://youtu.be/_uelT7JBiycus pour prendre connaissance de la lecture de l’extrait.

Exercices :

  • Pour expérimenter les phrases courtes, isolez un paragraphe d’un de vos textes et tronçonnez-le en petites parties. Les plus brèves possible. Déplacez les virgules, les points, lisez à haute voix. Essayez plusieurs formules, jusqu’à trouver la meilleure.
  • Réécrivez aussi les deux paragraphes ci-dessus (faites un copié/collé) en deux phrases seulement. Une par paragraphe.

À vous de jouer.

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