Technique narrative : comme un mouvement de caméra
Cette série de billets n’a pas d’autre ambition que d’illustrer par l’exemple des techniques narratives éprouvées. Mais d’abord, commencez par écouter la lecture du passage tout entier, pour vous mettre dans le bain.
Avez-vous du mal avec les descriptions ? Savez-vous installer une ambiance ? Vous avez déjà pensé à vous inspirer du cinéma ?
Rien de tel qu’un joli mouvement de caméra pour diriger le lecteur
« Le lendemain, la pluie ne cessa de tomber. En fin d’après-midi, je me trouvais garé dans mon roadster Chrysler bleu le long du boulevard, à peu près en face d’une étroite boutique, au-dessus de laquelle une enseigne au néon vert annonçait H.H. Steiner.
La pluie rebondissait sur le trottoir jusqu’à hauteur du genou, débordait des caniveaux et d’énormes flics en cirés brillants comme des canons de fusil s’amusaient à transporter des petites filles en bas de soie, chaussées de jolies bottes de caoutchouc, aux endroits les plus inondés, gamines qu’ils étreignaient allégrement.
La pluie tambourinait sur le capot de la Chrysler, crépitait sur la toile tendue de la capote, dégoulinait le long des portières et s’accumulait sur le plancher, m’offrant une mare où patauger sur place.
J’avais avec moi une grosse flasque de whisky. J’y avais recours assez souvent pour rester à l’affût. »
R. Chandler
Raymond Chandler, en 1964, publie Un tueur sous la pluie, polar culte dans lequel il met en scène la figure archétypale du détective privé désabusé.
Je ne traiterai pas de la vision des femmes de ce type de personnage, il s’agit d’une autre époque. Et il s’agit de fiction. Tout est OK.
Gros plan sur la construction du passage :
Regardez dans quel ordre il plante son décor, avant que l’action proprement dite ne commence :
Le lendemain, la pluie ne cessa de tomber… Plan général au-dessus de la ville.
En fin d’après-midi, je me trouvais garé dans mon roadster Chrysler bleu le long du boulevard, à peu près en face d’une étroite boutique, au-dessus de laquelle une enseigne au néon vert annonçait H.H. Steiner. Le plan général se resserre et se stabilise en plan large. Profil du personnage assis dans son roadster bleu et enseigne au néon.
La pluie rebondissait sur le trottoir jusqu’à hauteur du genou… Plan serré sur le trottoir… et sur la fameuse pluie.
… débordait des caniveaux… : Panneau. On suit le parcours de l’eau.
… et d’énormes flics en cirés brillants comme des canons de fusil s’amusaient à transporter des petites filles en bas de soie, chaussées de jolies bottes de caoutchouc, aux endroits les plus inondés, gamines qu’ils étreignaient allégrement. Plan moyen sur les flics qui se resserre sur une « gamine » (sur l’étreinte).
La pluie tambourinait sur le capot de la Chrysler… Caméra subjective. On est maintenant à l’intérieur de la voiture, on voit par les yeux du détective.
… crépitait sur la toile tendue de la capote… lequel est à l’abri (NB : deux paragraphes successifs s’ouvrent par « la pluie »… Il pleut vraiment beaucoup !)
… dégoulinait le long des portières et s’accumulait sur le plancher m’offrant une mare où patauger sur place… logique, la pluie tombe, du haut vers le bas, donc.
J’avais avec moi une grosse flasque de whisky. J’y avais recours assez souvent pour rester à l’affût. Gros plan sur la flasque puis le personnage qui boit ou qui rebouche la flasque.
Organisation de la description
Cette façon très cinématographique de planter le décor est on ne peut plus efficace. Le lecteur est aussi un spectateur. Il se figure sans aucune peine la scène qui se déroule.
On ne fait pas mieux pour organiser une description équilibrée et dynamique :
- Contexte général.
- Un détail marquant.
- Et le perso dans tout ça ?
- Que fait-il ?
Exercices :
- Faites un copié-collé du paragraphe et retournez-le, point par point, en partant du détective qui boit jusqu’à la pluie qui tombe du ciel.
- Qu’en pensez-vous ?
- Est-ce que ça raconte la même histoire ?
- Qu’est-ce que ça induit pour la suite ?
À vous de jouer.